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SETIF (29)

lundi 17 janvier 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Je revois Moussa, drapé dans son burnous. Les rigueurs de l’hiver dans les Hauts Plateaux l’exigent. Attablé devant un thé fumant dans un café sur la place de Bab Beskra, nous devisions souvent sur les abominations de ce monde que nous soupçonnions d’être à l’origine de nos tribulations. Souvent, Moussa me racontait qu’il lui arrivait de plus en plus de se regarder vieillir prématurément dans la glace. Chaque matin, après s’être rasé, il se rendait compte qu’il avait quelques cheveux blancs de plus. Il souriait tristement à l’idée qu’il vieillissait. Il se rappelait encore certains épisodes de son adolescence passée, surtout ceux concernant sa première étreinte amoureuse… Il me rapporta que ce jour là, se morfondait. Troublé par les vicissitudes des nuits blanches. Une vague impression que son intelligence s’amenuisait au fil des mois…

Ce jour là, il avait le cœur gros. Enfoui dans son fameux burnous, il reculait devant la porte massive dont le fer était peint d’une façon grotesque. Sur les trottoirs, de rares passants s’empressaient de retrouver leurs foyers. Dans le café d’en face, de jeunes gens sirotaient du thé à la menthe tout en évoquant leurs problèmes quotidiens. De là où il était, il entendait un brouhaha interminable et des éclats de rire qui sonnaient souvent faux. Il s’interrogeait. Ces jeunes avaient-ils franchi le seuil de cette porte ? Qu’avaient-ils découvert ? A cette pensée, il eut un instant envie de rentrer chez lui. Un regard furtif sur sa montre lui indiqua qu’il était dix-huit heures passées. Il restait seulement trente minutes avant la fermeture de la maison immorale. Tellement immorale qu’elle fut reléguée à la sortie de la ville. Cultivant sa frustration, la société se refusait à l’admettre par la mise à l’écart de ce qu’elle considérait comme une tare atavique.

Il tira une cigarette qu’il alluma dans l’espoir de se redonner courage. Une dernière bouffée et il la confia à l’obscurité de la nuit. Le bout incandescent du mégot alla rouler au milieu du trottoir qui n’avait pas dû être bitumé depuis longtemps. Il se demanda à quoi pouvait servir les impôts des citoyens, mieux des pétrodollars. Pendant quelques instants, cette idée lui fit oublier le motif de sa venue sur ces lieux devenus lugubres, l’opacité de la nuit et le froid aidant. Il restait un quart d’heure avant que n’intervienne la fermeture de la grande maison, lorsqu’il se retrouva comme attiré par une force irrésistible à l’intérieur d’une petite cour où circulaient des femmes de tous âges. A ses yeux vêtues d’une manière indécente. L’ambiance provocatrice inspirée par la tenue de ces dames lui inspirait un sentiment indéfinissable. Abasourdi d’hébétude, il écarquillait les yeux devant cette chair découverte. S’offrant à son regard pour la première fois. Comme aveuglé par une lumière trop puissante, il clignait des yeux. Mais, loin de le rassasier, ce spectacle n’excitait que passablement sa curiosité longtemps refoulée. Le moment de surprise passé, il se rendit compte qu’il n’était pas seul. Quelques personnes donnaient encore vie à la bâtisse immorale, probablement des abonnés comme il se plaisait à les appeler. Et l’heure avançait. La patronne invitait déjà les retardataires à sortir. Ces derniers, sans se soucier le moins du monde de cette sommation, continuaient à tirer sur leurs cigarettes d’ultimes bouffées comme un appel au secours.

Moussa était terriblement gêné. Adossé à une colonne d’un long corridor, il regardait à la dérobée ces dames fardées à outrance ; celles-ci jactaient et s’appelaient par des surnoms qui auraient fait rougir de colère tous les saints réunis. Au moment où il n’arrivait pas à se décider avec qui il allait partager sa première étreinte, il se retrouva soudain dans la piaule d’une grosse blonde dont les rondeurs l’avaient séduit. Bien entretenu, bien équipé, décoré à l’orientale et surtout bien chauffé, l’intérieur de la chambre lui inspira de la sympathie et de la confiance. Les pieds nus, elle se planta devant lui. Elle se déshabilla. Sans conviction, il lui pétrit les seins. Comme pour repousser une soudaine envie de partir, il enfouit sa tête dans la poitrine de la dame qui fumait le plus tranquillement du monde une cigarette à demi consumée. Ses jambes se mirent à trembler, son cœur battait à rompre. Ses tempes bourdonnaient. Ses yeux à demi-fermés s’ouvrirent béants sur un corps usé par les caresses furtives et par l’alcool et autres drogues. Il entrevoyait cette chair comme dans un rêve lointain. La tête en arrière, elle bascula sur son lit en écartant les jambes. Elle était prête à l’accueillir. Ses bras volumineux se refermèrent sur lui…

A suivre


Ammar Koroghli

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