SETIF.INFO

Accueil > Setif.info (1999-2021) > Culture > Exils : de Sétif à Paris

PARIS (4)

dimanche 7 août 2011, , article écrit par Amar Koroghli et publié par La rédaction


Le quartier latin, mon premier quartier, n’était pas loin. J’y descendais par moments, le boulevard Saint Michel n’était pas loin. Pendant longtemps, j’eus à le fréquenter et d’en faire un lieu de prédilection. J’y rencontrais des compatriotes et me rendais dans ses cinémas. Certaines salles étaient spécialement réservées à la projection de films étrangers dont nous raffolions. Sans doute parce que nous pensions y trouver quelque réconfort loin de nos patries. Nous devions absolument reconvertir quelque peu nos mentalités pour mieux comprendre les ressorts de la société d’accueil. Ce fut un minutieux apprentissage. Se mettre dans la peau de l’autre pour mieux le comprendre et se faire admettre.

Parmi mes nouveaux amis figuraient des Maghrébins, des Africains, des Latino-américains, des Européens… J’appris à être Africain et Maghrébin à Paris. L’occasion me fut offerte de connaître moult étudiants en thèse. Souvent, pour financer nos études –en fait nos loyers et notre nourriture-, nous eûmes à exercer toutes sortes de travaux qui allaient de deux heures à deux mois. Et notamment les soirs, les week end et l’été. Combien d’années sans congés, ni vacances ? A foison. Nous étions une sorte de lumpen prolétariat… intellectuel. Et pourtant, nombreux sont ceux et celles qui ont réussi ainsi à préparer leurs diplômes. Ce fut en effet le prix à payer. Notre jeunesse nous protégeait alors. La lecture et la curiosité également. Haro sur le savoir !

Beaubourg. Il m’arriva de fréquenter ce lieu de culture durant plusieurs années. Je m’émerveillais de tant de production de livres. A la portée de tout un chacun. Je passais des heures entières à lire, parfois tout un dimanche. C que je fis lus tard à la Cité des Sciences. Souvent pour étancher ma curiosité dans des matières autres que le droit. Exercice conjugué à la lecture de journaux et revues en bibliothèques municipales. De nombreuses années, cette soif d’apprendre et de découvrir estompa l’exil. J’y étudiais nombre d’auteurs venus d’ailleurs. Je voyageais ainsi tantôt en Asie, tantôt en Amérique latine. En Afrique et au Moyen-Orient aussi. Il me fut agréable de discuter avec d’autres étudiants venus de divers pays. Au café situé tout en haut de cet édifice culturel, je pus voir Paris et ses toits. Rester ainsi en contemplation de la ville cosmopolite. Quel régal !

A la même période, je fis mes classes dans des radios libres à destination d’immigrés maghrébins. Je débutai par une émission littéraire. Il me fut ainsi donné de présenter des auteurs venus d’ailleurs. De Tagore à Marquès, en passant par des auteurs Africains et Maghrébins ; je lus alors du poète marocain Laabi des poèmes de Chroniques de la citadelle d’exil et de Sous le bâillon le poème, alors incarcéré pour atteinte à la sûreté d’Etat. Ce fut exaltant tant par la recherche que j’effectuais que par la présentation de ces auteurs. Je mis en place ensuite une émission ouverte au public, n direct, qui se déroulait en soirée ; après exposé du thème du jour, je livrais la parole aux auditeurs. Certaines de ces émissions donnèrent lieu à une profusion d’échanges fructueux mais non moins houleux. Nous apprenions alors les rudiments du droit à l’expression, préalable et condition à un passage à la démocratie que nous avions longtemps considéré comme un mode opératoire bourgeois des pays occidentaux avilis par le luxe et corrompus par le passé colonial où tant de barbarie régna. Certains n’hésitèrent pas à clouer au pilori les politiques des pays d’origine également. Ils se sentaient orphelins de la protection effective de leur mère patrie au-delà des vocables jetés en pâture dans les discours destinés à la consommation intérieure. Durant quelques mois, nous eûmes ainsi loisir à débattre de notre quotidien, à écouter des musiques nous rappelant nos origines. Jusqu’au jour où nous fûmes interdits d’émettre. Quelle frustration au pays des droits de l’homme ! Sevrés de parole sur la place de la démocratie. Confiscation d’un outil de communication avec les siens, dans une langue qui lui est accessible. La leçon fut dure à digérer.

(à suivre)


Amar Koroghli

Dans la même rubrique