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Le 41e vendredi de la contestation populaire à Sétif : L’effet diversion d’un candidat.

dimanche 1er décembre 2019, par Hamoud ZITOUNI


En arrivant ce vendredi 29 novembre, vers 14 30, sur les lieux du rassemblement habituel du hirak au centre ville, l’on est surpris par le nombre relativement modeste des manifestants : à peine un millier. En ce mois de forte mobilisation, à cette heure-ci, on pouvait en estimer au moins le double. Et l’on se pose de suite plusieurs questions : le hirak de Sétif s’est-il soudainement essoufflé ? Y- a-t-il eu des intimidations ? des arrestations ? Le comportement détendu des hommes en bleu présents fait écarter cette hypothèse. Même que le bouclier en tenue anti-émeute, habituellement serré et sur ses gardes, semble lui aussi détendu et presque relâché. Des manifestants présents questionnés, j’obtiens très vite l’explication : une première vague de hirakistes a déjà pris sa route depuis près d’une demi-heure pour indisposer un des 5 candidats. Il s’agit de M. Belaid qui est venu faire « campagne » à Sétif dans une insolite discrétion. Cet homme politique aurait été acheminé discrétement sous bonne garde dans une salle de sport de l’est de la ville au moment de la prière hebdomadaire (djoumoua). C’est compter sans la vigilance des partisans anti-vote qui semblent avoir leur propre « téléphone arabe ».

Soudain, la foule s’arrête de crier un laps de temps ses slogans et se met en ordre de marche en direction du nord. A quelques mètres plus loin, à proximité du secteur militaire, de la foule fuse un slogan-phare du hirak : « Dawla madania, machi askaria » (Etat civil, pas militaire). Près d’une centaine de mètres plus loin, à la patte d’oie de l’ancien parc à fourrage, les marcheurs joyeux contournent l’imposant siège de l’ex parti unique, surnommé par le passé le « Kremlin », abritant présentement la daira et prennent la direction est de la ville, vers le quartier des poissonniers. Sans surprise, et à hauteur de collège Bekhouche, la procession prend la direction du plus vieux quartier populaire de Sétif : Tandja. Longeant la longue enceinte du groupement de la gendarmerie nationale, les manifestants profitent de lancer les slogans « Madania, machi askaria », « Djazair horra démocratia » (Algérie libre et démocratique » et « Djich, chaab, khawa khawa » (Armée, peuple, frères).
Alors que l’emblème national est à l’honneur, celui de la Palestine est ostensiblement brandi en signe de solidarité à l’égard d’un peuple souffrant le martyr. Par contre, la bannière berbère y est cette fois-ci totalement absente. Les précédentes arrestations ont probablement dissuadé plus d’un à brandir ce symbole identitaire et culturel. Les Sétifiens majoritairement arabophones ne lui ont pourtant jamais été hostiles depuis au moins le fameux 22 février. La seule hostilité qu’ils montrent franchement c’est celle qu’ils ont envers le mouvement sécessionniste. Sétif, à ses origines Azdif ou « terre noire » est, de par sa position géographique et son histoire multi- millénaire, un creuset de mélanges, d’échanges humains et culturels. Ce qui fait d’elle une ville peu conservatrice, très ouverte, accueillante et dont le peuple attachant est réputé pour son caractère frondeur, son sens prononcé du verbe cru, de l’humour fin et de la dérision.

Sur la longue rue de Sillègue qui partage en deux le quartier populaire Tandja jusqu’au carrefour d’Essaa (l’horloge), les marcheurs avancent cap sur l’est, sous les youyous des femmes aux balcons. Comme devenue coutume, des dizaines de citoyens rejoignent la procession contestataire. Et la foule, comme transportée par son propre élan, entame pour la énième fois un de ses chants phares : « Makanche el vote. walah men dirou. Bedoui ou Bensalah lazem itirou. Walah ma na habsine » (Pas de vote. Nous jurons de ne pas le faire. Bedoui et Bensalah doivent dégager. Nous jurons de ne pas nous arrêter). Près d’un km plus loin vers l’est (quartier El Hidhab), aux abords des cités de la gendarmerie et de la police, les rues latérales menant vers la cité des 1006 sont barrées par les véhicules de la police. Non, ce n’est pas par crainte que les hirakistes, bien pacifiques, tentent une incursion dans ces cités au demeurant toujours bien gardées. C’est juste qu’on est à proximité de la salle de sport Merrouche Ahmed dite des « 1006 » où se tient à huis clos le meeting du candidat Belaid, protégé par un cordon de sécurité impressionnant. On remarque que la première vague des manifestants, bien bruyante et chahuteuse, est déjà là en face d’un rang de casques bleus munis de boucliers, l’air alerte. La seconde vague des marcheurs s’est positionnée sur une autre rue adjacente, elle aussi barrée par un fourgon de police et une escouade de casques bleus. Mais rien ne se passe de méchant. Aucun jet de pierre, ni bousculade, ni même insulte. Juste un slogan chanté par la foule qui fait sourire : « Entouma assou alihoum. Wahna enehouhoum » (Vous, vous assurez leur garde et nous, nous les dégagerons). Moins d’une heure plus tard, la foule des hirakistes s’effiloche. Le crépuscule et le froid commencent à envahir la ville de Sétif, frondeuse mais assurément pacifique. Chacun rentre chez soi. L’arrivée à Sétif du candidat à l’élection contestée a juste créé un moment de diversion pour le hirak local. Demain sera un autre jour.

H.ZITOUNI

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