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Chant pour Yacine : Hommage à « l’enfant terrible de la littérature algérienne »

Il y a 20 ans, Kateb Yacine nous a quitté ...

mercredi 3 juin 2009, par La rédaction


Un poème sur Kateb Yacine, en hommage à « l’enfant terrible de la littérature algérienne », en ce vingtième anniversaire de son ultime départ.

Dire Yacine aujourd’hui, n’est pas aisé comme il n’est pas aisé de s’élever à la simplicité…

Dire Yacine aujourd’hui, c’est interroger cette mémoire sur l’insouciance des rires d’enfants, sur les élans généreux et les itinéraires tumultueux, enfin sur les regards sereins...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est arpenter les champs de blé et les racines d’oliviers, c’est aussi cultiver les senteurs de paradis et les fleurs de henné. Dire Yacine aujourd’hui, c’est rompre la galette et la sueur avec mineurs et dockers dans le silence des puits sans fin, dans le brouhaha des ports aux folles jetées.

Dire Yacine aujourd’hui, c’est dépoussiérer l’autel de l’histoire sous le pas serein de l’Emir Abdelkader… Etre à l’écoute du chant d’amour d’Ibn El Arabi..., être à l’écoute de la plainte des femmes maudites pour ne pouvoir enfanter mais aussi du cri de victoire de l’enfant qui naît.

Dire Yacine aujourd’hui, c’est vomir le verbe, le conjuguer et crever les nuages : averse de larmes et de sang où les murmures des vents d’orages se mêlent aux cris des morts de Sabra et Chatila, à ceux des brûlés à la chaux vive de Mélisimmo ou encore aux lamentations des égorgés de Beni Slimane et de Bentalha.

Dire Yacine aujourd’hui, c’est voir luire dans le calme d’une nuit africaine Nedjma, au centre d’une constellation d’étoiles et de perles : belle brune aux cheveux de sable mais aussi fougueuse et généreuse ALGERIE...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est aussi traverser une journée d’automne, l’espace irréel d’un hangar de fret où les doigts effilés d’une toujours belle brune effleurent amoureusement un cercueil en errance..., traverser un espace irréel où l’ami témoin du recommencement d’un amour impossible fût frappé de cécité et de surdité, la langue ligotée..., l’espace d’un moment, où Octobre s’éveille pour saluer les moments éternels...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est errer dans les regards silencieux des jeunes filles claustrées, défaire les mots dans leurs mains au tatouage de henné et frémir au rythme du cri d’amour révolté d’El Kahina qui, non loin de Baghaî, a fait du fleuve d’un profond puits son lit éternel...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est aussi compter un à un les grains de poussière que la bêtise des hommes a entassé sur son nom, jusqu’à le dévoyer : Dahya, l’héroïne, reine d’un peuple libre, est devenue par enchantement El Kahina, l’envoûteuse...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est lire et comprendre l’étonnement émerveillé inscrit dans les yeux aux prunelles élargies des jeunes mères devant le balbutiement des premiers pas des bébés...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est pénétrer la mémoire qui déambule et qui se fige..., plonger dans le regard avide des enfants de dix ans et dans la profondeur de l’abîme de Mai 45 où l’écume rouge inondait les crânes amoureux à travers les bottes ferrées des bâtards légionnaires et les statuts de liberté du " monde libre ".

Dire Yacine aujourd’hui, c’est aller au devant de Bouzid rencontrant une balle brûlante au cœur de ses vingt ans et s’allier aux youyous de la victoire que lançait sa mère dans son oreille mourante ..., sa mère pour la première fois sortie dans la rue sans voile ni chaînes..., moment sublime où la rencontre fabuleuse des destins dans la fièvre du mois de mai propulse Yasmina la rose noire, dans un vent de folie pour recevoir en plein délire et Frantz Fanon et l’étoile en plein front ..., Yasmina la rose noire, source d’un grand destin qui, un jour d’ombres et de lumières descendit de son rosier pour prendre la fuite ...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est dénuder les rivages sans âmes où " PAS DE CHANCE " et " NUAGE DE FUMEE" dansaient à la mesure d’une mélodie que H’RIKES fredonnait : symphonie de mandoline et de tambourin dans un maquis de genêts ...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est interroger le ch½ur et le coryphée sur le parcours des planches et le cercle de craie : univers où ALLOULA dans son immense générosité a su semer le verbe et déclamer les mots animés. . .

Dire Yacine aujourd’hui, c’est peser la poudre dans une grotte éclatée où MECHAKRA, la douce, extirpait la sève des paroles de MOHAND OU MOHAND pour s’abreuver et s’enivrer...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est scruter les grandes étendues : ocre des dunes de sable, scintillement des dunes de neige dans la clarté de l’aube naissante...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est courir les ruelles étroites, suivre les pas des humbles à l’échine courbée sous de lourds fardeaux le long de la rue des vandales..., c’est questionner les boulevards et autres faubourgs sur l’origine de l’opulence de leurs cités..., c’est interpeller les dortoirs insalubres et les chambres d’hôtels miteux, l’estaminet de banlieue et les grandes brasseries, l’étang enfoui à l’orée des bois et les berges des grands fleuves...

Dire Yacine aujourd’hui, c’est continuer à respirer, continuer à lutter…

Omar Mokhtar Chaalal : Kateb Yacine, l’homme libre.

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