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Obstacles : Ces jeunes qui surfent sur la ville

vendredi 13 août 2010, , article écrit par Zouheir Aït Mouhoub, El Watan et publié par La rédaction


Ce n’est pas de la frime, mais bien un sport. Ca, ils le proclament haut et fort. Et c’est sous le regard médusé des Sétifiens qu’ils ont réalisé une belle rencontre symbiotique et… acrobatique. Eux, ce sont les traceurs. Mais qui sont-ils ? Suivons-les à travers les belles artères de Sétif qu’ils ont sillonnées au début du mois.

Pourquoi faire le tour des barrières, des balustrades et autres obstacles urbains, quand on peut les franchir… en sautant ? A priori, cela paraît fou, mais pour Amir, Anouar, Oussama ou Amine, c’est du sérieux. Le nom de cette drôle de discipline : le parkour. Un sport urbain (ou de rue, pour d’autres) inventé en France au début des années 2000 par David Belle. Cette discipline s’est ensuite répandue dans le monde grâce au film qui lui a été consacré : Yamakazi. Son principe : transformer des éléments du décor urbain ou rural en obstacles à franchir par des sauts précis ou des escalades. Le but consistant à se déplacer d’un point à un autre de la manière la plus efficace possible. Cette semaine, la ville de Sétif a abrité le premier conclave des traceurs algériens – c’est ainsi qu’on les appelle. 70 jeunes se sont ainsi retrouvés dans une ambiance fraternelle de sensations fortes et maillots mouillés. Une initiative conduite par Walid Benyahia, 25 ans, ingénieur en électronique et féru des sports de combat et autres arts martiaux. Avec le concours de l’APC de Sétif, Walid et ses deux amis Malek Drif et Oussama Keskes ont organisé le premier Parkour Day en Algérie. « J’ai fait connaissance avec cette discipline lors de la parade du 5 juillet l’an dernier. Depuis je me suis intéressé de près à ces jeunes, à ce qu’ils font, et nous avons gardé le contact », confie le Docteur Naceredine Ouahrani, vice-président de l’APC, chargé des sports.
Une âme aux murs

Ils sont venus de tous les coins du pays en ce mois d’août caniculaire, pour s’adonner à leur pratique préférée : franchir d’improbables obstacles. « L’idée est de regrouper les traceurs algériens dans un seul endroit, d’abord pour échanger des idées, des expériences. Ensuite se connaître entre jeunes dans une ambiance décontractée, et enfin rassembler la communauté autour du même objectif : donner naissance à une fédération qui regroupera l’ensemble des traceurs du pays », explique Walid qui a monté un groupe de parkour nommé Urbain Action. « C’est d’abord une philosophie qui donne une âme aux murs, aux escaliers et autres objets rencontrés sur notre route dans la vie de tous les jours », explique, en philosophe, Mohamed Amine Merabti, 21 ans, un traceur d’Oran. Ce jeune étudiant en orthophonie à l’université de Bouzaréah a effectué ses premiers sauts de parkour en 2007, tout seul dans sa ville. « J’ai regardé le film Jump to run où on apprend les techniques du parkour », confie-t-il. Quelques mois plus tard, il rencontre Khaled, un break dancer, intéressé par ce sport des temps modernes et crée un groupe. « A travers cette rencontre, puis les autres qui ont suivi, j’ai compris que tous les traceurs se ressemblent et qu’ils partagent la même philosophie, pour ne pas dire la même mentalité. »
Sur YouTube et Facebook

A Sétif, Walid & Co ne sont pas les seuls à faire du parkour. Costa Nostra Crew est un autre groupe à sauter les passerelles et les bancs de la ville. Amir Meriane, 17 ans, lycéen, en est le créateur. « Au début, il y a deux ans, j’étais tout seul dans mon quartier à faire du parkour, et puis j’ai rencontré Anouar qui s’est joint à moi. Notre groupe commença alors à s’agrandir. » Dans la wilaya de Sétif, ils sont une quarantaine de traceurs entre 12 et 26 ans, ce qui fait d’eux la plus grande communauté du parkour en Algérie. Pour se faire connaître, ils utilisent Internet. YouTube et Facebook sont leurs canaux de communication. Grâce aux vidéos mises en ligne, petit à petit, ils se sont trouvé des amis sur le Net, ont organisé des visites dans leur wilaya. Ilyes Najah, 19 ans, bachelier de la wilaya de Batna, se dit « très content de voir les autres traceurs » qu’il ne connaissait que par Internet. « J’entendais parler de Yamakazi, puis j’ai rencontré un traceur du groupe All Grounds, qui m’a initié à cette discipline. » Deux ans plus tard, il fonde son propre groupe Urbain Jumpers qui regroupe cinq personnes.
Mal perçus

Le premier jour a été consacré aux entraînements, dans le stade communal, où des obstacles en bois et en acier ont été construits spécialement pour l’événement avant la sortie le lendemain dans les rues de Sétif. Devant le regard ébahi des Sétifiens, surpris par le spectacle. Cette sortie en ville est une bouffée d’oxygène. « Nous avons besoin de sentir le béton », affirme l’un d’eux. « Nous ne faisons pas cela pour attirer l’attention des passants, par frime ou autre chose, c’est juste notre sport favori », confie Mohamed Amine Merabti. Un avis partagé par Amine Meriane et Ilyes Najah. « Les gens nous traitent de fous, parfois nous disent : “Vous n’avez pas honte de sauter comme des gamins à votre âge ?“ ! » Dimanche 1er août, leur sortie en ville pour un petit spectacle dans les artères de la cité, l’espace naturel du parkour, a été empêchée par la police, faute d’une autorisation préalable. « On nous prend souvent pour des voleurs, notre activité est mal perçue, explique un traceur. Il est donc très important de médiatiser et de sensibiliser à la fois citoyens et autorités, leur dire que cette discipline n’est qu’une nouvelle forme de sport pratiquée cette fois-ci dans la ville et qu’il n’y a rien à craindre. » Le challenge pour ces nouveaux aventuriers de la rue : se médiatiser sans se faire récupérer par la publicité. « Je ne peux pas admettre qu’un jour des publicitaires sollicitent les traceurs pour figurer dans leurs spots, car c’est un sport discret et à but non lucratif », confie amèrement Walid Benyahia. A l’affût des nouvelles de leur discipline sur Internet et en attendant des exploits à l’international, chez nous, nos traceurs vont désormais apprendre à partager les murs avec d’anciens occupants… les hittistes.


Zouheir Aït Mouhoub, El Watan

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