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PARIS (26)

lundi 26 septembre 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Aéroport. Des yeux verts, des yeux qui brillent sous un fatras de veines en un visage mangé par le temps. Une salle d’attente où chacun pose devant lui ses bagages, maigre pillage de la civilisation du pays d’accueil. Tapis soigneusement pliés trahissant une soif de consommation. Soudain, crise d’épilepsie d’un passager. Un noir chauve aux cheveux gris …. Taillé en athlète, la cinquantaine, il tonnait à faire trembler les vitres : « Il faut que mes enfants mangent, j’ai payé 2 briques. Où est le commandant de bord »…

Dès la descente d’avion, une chaleur étouffante. Comparée à la grisaille parisienne... Dès l’aéroport, vous êtes happé dans des draps linguistiques bariolés aux couleurs locales. Emerge alors en vous une indescriptible envie de vous envelopper dans votre particularité d’individu réinséré dans sa matrice originelle. Les salam alikoum fusent et vous rappellent irrémédiablement que vous êtes quasi génétiquement du pays, qu’il ne saurait y avoir de place pour plus d’une patrie, l’Algérie se révélant jalouse. Il est vrai aussi que moult contingences vous rivent à l’émigration, la Terre étant devenue, nous dit-on, un village planétaire. Comme les autres sociétés humaines, l’Algérie est une bête curieuse où le sociologue, comme le simple quidam, trouve matière à observation fertile. Ainsi, phénomène caractéristique : l’espace extérieur continue d’être régi comme il y a trois décennies : les filles ensemble et les garçons à part, les premières jouant à la collation et les seconds aux cartes. Dichotomie séculaire ou deux univers en conflit ?
Autre phénomène observable : le civisme manque de plus en plus. L’hygiène encore un peu plus. Les discours des uns et des autres tournent autour de l’acquisition de terrains à bâtir, de constructions, de voitures et de devises. Rares sont les interlocuteurs avec lesquels échanger des idées et débattre sérieusement de la problématique algérienne, analyses à l’appui. Il est vrai aussi que les dirigeants qui se sont succédé ont fait de la dette la pierre d’angle de leur politique économique, gaspillant ainsi les autres principales richesses du pays : l’agriculture, la culture, les ressources humaines et la jeunesse. La clochardisation est manifeste
Qu’un responsable, honnête de surcroît, d’un certain rang habite dans une HLM est inadmissible, qu’il prétende construire une villa quasi inexpugnable -mouture nouvelle noblesse- également. Une voie médiane est toujours possible pour maintenir et l’autorité de l’Etat et le contact permanent entre administrés et gouvernants. A ce propos, les gens vous répondront : « S’il n’y a que ça... Les gros loups sont en haut. Attendons qu’ils se mangent entre eux » … Des secteurs tels que l’édition et les mass media, particulièrement la télévision, tardent à devenir des services publics tant il est vrai que « nos » dirigeants continuent de nous abreuver, de façon délibérée, de discours éculés et vieillots et de tenter de nous gargariser d’illusions, cherchant en cela à nous infantiliser. Quel mépris ! Foin donc des discours où les intentions vaguement crédibles l’emportent sur la pratique réfléchie. La « une » continue de nous servir les plats indigestes de certains feuilletons égyptiens et séries américaines. De qui se moque t-on ? Il est vrai que les gens ont développé une capacité de résistance et une certaine facilité d’adaptation, parabole oblige.
Deux revenants ont fait surface : l’alcool et la prostitution, comme rançons à la misère ambiante sans doute. Toutefois, le point le plus caractéristique de l’économie algérienne demeure la spéculation effrénée à un double niveau : l’immobilier et ce qu’il serait possible d’appeler le trabendo du foncier. Je n’ai pu m’empêcher de penser que la construction de grosses demeures respirait le vol et le stupre. La luxure dans un océan de contradictions et d’indigence. Il est singulièrement choquant que continue de prospérer une minorité de nouveaux opportuno-jouisseurs qui se sucrent sur le dos de la majorité démographique. Construction de véritables fiefs à côté d’HLM-dortoirs. Genèse d’une nouvelle seigneurie ? C’est là le résultat de la vénalité de « nos » politiques qui gouvernent le pays à coups d’oukases élaborés par une techno-bureaucratie, au service du pouvoir qui gouverne par l’instrumentalisation de l’armée. Pour leurs intérêts propres et ceux de leur progéniture...
(à suivre)


Ammar Koroghli

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