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Hommage à l’écrivain Rabah Belamri

lundi 28 septembre 2015, par A. Nedjar


Il y a tout juste 20 ans presque jour pour jour que ; par un beau matin frais d’automne, nous parvint la terrifiante nouvelle. Sans avoir eu le temps de nous signifier son au revoir, notre ami Rabah Belamri s’éclipsa sans bruit à Paris le 28 septembre 1995, tirant sa révérence à l’âge de 49 ans ; à la suite d’une délicate opération chirurgicale, laissant derrière lui une œuvre importante et dense inachevée, une famille sous l’emprise du choc, une communauté littéraire tourmentée et ses amis prostrés par la douleur.

Plus jeune, ceux qui l’avaient côtoyés avaient déduit en lui ce fameux bouillonnement littéraire précoce et les ferveurs d’un garçon doué, alliant le sérieux et sens d’une sensibilité extrême.

Hélas, il était dicté dans sa trajectoire de vie qu’un incident malheureux allait le contrarier dans ses ambitions , le privant de la vue à l’âge de 16 ans. Mais, c’était faire sans le cran et la volonté qui l’animaient où il eut à braver et à transcender tous les écueils pour se hisser au sommet de la hiérarchie dans sa discipline et de se situer par là au niveau des ses pairs, grands écrivains d’après l’indépendance qui ont tous été plus ou moins blessés et meurtris comme ces millions de citoyens du moment par les affres de la privation et de la domination sous une longue nuit coloniale qui a bouleversé et avait failli désagréger toute notre culture, nos coutumes et traditions ,notre personnalité et notre identité. Mais c’était aussi faire sans ce soc et ce ferment d’une société où la réminiscence et les transmissions orales étaient présentes pour perpétuer l’esprit et les valeurs des anciens que Rabah avait su cultiver dans la difficulté et dans son handicap en les ressuscitant fidèlement par le recueil et les transcriptions , en écoutant son vieil oncle Mahfoud ,sa tante Zouina, Cheikh El Mihoub, le sage du Douar , et certains membres de sa famille qu’il avait entrepris d’enregistrer sur ses bandes magnétiques au moyen du fameux Mini K7 de l’époque.

Il réalisa ainsi en partie son œuvre en restituant ces contes anciens voués à l’oubli et à la disparition , qui sont, fort heureusement enseignés aujourd’hui dans les écoles en France mais que nos petits écoliers ignorent et méconnaissent totalement par la force et l’inertie d’une partie de nos ’Intellectuels’ où là aussi une majeure partie de notre culture et de notre histoire restent à dépoussiérer.

Si Rabah perdit à jamais la vue et la vision des choses qui l’entouraient, il n’en restait pas moins au fond de sa mémoire tous ces décors ,faits de monts et de montagnes ,de plaines et de plateaux ,de sentiers et de maquis ,des oueds et les ruisseaux ainsi que les scènes et les couleurs de la vie de tous les jours dans lesquels il avait baigné. il se livrera à les perpétuer et à les représenter à travers son imaginaire fécond, un peu comme pour « la dernière image » dans le film de Lakhdar Hamina. il s’employa aussi à travers toute sa carrière littéraire à ressusciter par des mots et des écrits toutes ces scènes et tous ses personnages où l’en ressent indéfiniment une douleur vive et permanente. Mais ,c’était faire sans son caractère indomptable de gagneur. Malgré son état, Rabah avait gravit avec succès tous les échelons dans la poursuite de ses études en réussissant et en arrachant brillamment tous ses diplômes , des ses brevets à son doctorat présenté à Paris .Il se hissa par la suite au sommet, aux cotés de ces grands penseurs, poètes ,écrivains et essayistes que le pays avaient pu produire et enfanté là où il était rarement donné à un autochtone issu des milieux défavorisés de percer et de réussir dans sa vie.

Pour payer son trousseau de jeune promu à l’internat au Lycée Kerouani, mis à part quelques rares loisirs faits de trempettes dans les gueltas de Oued Sidi Ali qui longeait le hameau de ses oncles ou celles de Oued Bousellam, dans les gorges de Hammam Sidi El Djoudi, il se consacrait à aider et de suppléer à la présence de son père pour assurer les ventes dans un étal du marché communal, quelques bottes d’herbes aromatiques et des légumes cultivés dans le maigre potager familial dont il emporta les parfums et odeurs jusqu’à sa disparition.

En dehors de ces odeurs qu’il revenait humer parfois à son retour chez ses parents, dépourvu de sa vue, Rabah avait su développer un autre sens en voyant beaucoup plus maintenant avec son cœur et son esprit. Son monde se réduisait à ses souvenirs et à son imaginaire .Dans ses romans ,notamment dans son œuvre majeure autobiographique « soleil sous le tamis » , il restitua avec une infinie délicatesse et précision ce que fût sa vie dans son village natal de Bougaâ où chacun pouvait se reconnaitre dans la sienne dans ce monde dominé par la violence et les fracas des bombes et des armes de l’occupant . Malgré cette atmosphère ,il subsistait toujours un coin un petit refuge où la solidarité, la convivialités et une certaine douceur de vivre pouvaient s’exprimer et où se tissaient les liens dans ce déchirement en pleine guerre ,là où la raison était celle du plus fort .

D’exil en exil, de son monde des ténèbres à celui des communs , de l’internat à l’école des jeunes aveugles d’Alger en passant par l’université et enfin sa résidence à l’étranger ,Rabah transporta avec lui dans ses bagages tous ses souvenirs pour les restituer sous la forme d’extraordinaires palettes alliant le sens de la narration à celui de la magnificence littéraire et linguistique qui lui valurent de nombreuses distinctions à l’étranger ,faisant dire de lui du future prix Nobel de la littérature J. M. G. Le Clézio qui l’encensa dans le journal du Monde du 13 octobre 1995 en rapportant : « Son œuvre parlait de la difficulté d’être, de l’exil, de la solitude. Mais elle nous parlait aussi de tendresse, elle nous emportait dans son élan vers les humiliés, vers tous ceux que la violence contemporaine broyait, abandonnait. ».

Pour terminer , nous dirons qu’au delà de la pensée que nous avons tous pour Rabah Belamri, à l’initiative des organisateurs du 17ème SILA (Salon International du Livre d’Alger) ,ses amis ,ses admirateurs et ses lecteurs avaient eté présents en masse pour lui renouveler toute leur reconnaissance à travers un hommage appuyé qui les avait réunis le 25 septembre 2012 dans l’après midi dans un pavillon de la foire internationale des pins maritimes .

Nous ne manquerons également d’évoquer ici ,notre gratitude et notre entière reconnaissance à celle qui fût son inégalable compagne de toujours , Yvonne qui ,terrassée par la maladie, ne pût se présenter à ce grand rendez -vous et sans qui, Rabah Belamri n’aurait jamais pu sans doute été ce qu’il fût ,en étant présente et en jouant à ses cotés un rôle éminemment important d’assistante dévouée et efficace , autant dans sa vie littéraire que dans sa vie de couple où il bénéficiait auprès d’elle plus d’une attention particulière en étant presque maternisé par elle.

Pour développer la littérature et encourager les jeunes écrivains ,ses amis et certains écrivains s’emploient désormais à concrétiser l’institutionnalisation et à l’organisation de journées et d’un prix littéraire portant le nom « Rabah Belamri » ici même à Sétif .

Bibliographie littéraire de l’auteur.

  • L’Œuvre de Louis Bertrand, miroir de l’idéologie colonialiste, Office des Publications Universitaires, Alger, 1980.
  • Les Graines de la douleur, contes populaires algériens, Publisud, Paris, 1982,
  • La Rose rouge, contes populaires algériens, Publisud, Paris, 1982.
  • Le Soleil sous le tamis, récit d’enfance autobiographique, Publisud, Paris, 1982,
  • Chemin de brûlure, poèmes, Éditions de l’Orycte, Paris, 1983.
  • L’Oiseau du grenadier, contes algériens, proverbes et souvenirs d’enfance, Flammarion, Paris, 1986.
  • Le Galet et l’hirondelle, poèmes, l’Harmattan, Paris, 1985,
  • Proverbes et dictons algériens, L’Harmattan, Paris, 1986.
  • Regard blessé, roman autobiographique, Gallimard, Paris, 1987, Prix France-Culture 1987.
  • Jean Sénac : entre désir et douleur, essai, Office des Publications Universitaires, Alger, 1989.
  • L’Olivier boit son ombre, poèmes, Edisud, Aix-en-Provence, 1989,
  • L’Asile de pierre, roman, Gallimard, Paris, 1989, * L’Ane de Djeha, L’Harmattan, Paris, 1991.
  • Femmes sans visage, roman, Gallimard, Paris, 1992 (Prix Kateb Yacine),
  • Pierres d’équilibre, poèmes, Le Dé bleu, 1993.
  • Mémoire en archipel, recueil de récits, Gallimard, Paris, 1994,
  • Chronique du temps de l’innocence, Gallimard, Paris, 1996.
  • Corps seul, poèmes, Gallimard, Paris, 1998.

Sur Rabah Belamri

  • Les Mots migrateurs, Une anthologie poétique algérienne, présentée par Tahar Djaout, Office des Publications Universitaires, Alger, 1984.
  • Jean Déjeux, Dictionnaire des auteurs maghrébins de langue française, Paris, Editions Karthala,
  • Anthologie de la littérature algérienne (1950-1987), introduction, choix, notices et commentaires de Charles Bonn, Le Livre de Poche, Paris, 1990
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