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Igor Bouchen, Mohamed Iguerbouchen, qui se cache derrière ce fameux nom ?

dimanche 13 novembre 2011, par A. Nedjar


Pour rendre hommage à Mohamed Iguerbouchen et perpétuer par là son esprit, l’association éponyme organise pour la deuxième année consécutive un concours de musique instrumentale classique à Tizi-Ouzou du 12 au 14 novembre.

Plus que l’événement lui-même qui est sans doute d’une grande importance aux yeux de nombreux mélomanes et les amoureux de la musique dite savante, faisons connaissance d’abord avec l’homme, ce grand artiste musicologue disparu prématurément .Celui qui avait conduit à faire écouter la voix de l’Algérie occupée à travers le monde . Malgré la notoriété internationale qui l’entoure toujours parmi les néophytes et les initiés ,il demeure presque inconnu chez les générations nouvelles mais surtout oublié par les plus anciennes.

Pour lever le voile et le mystère tombés sur ce grand homme ,nous avons voulu à notre façon retracer à travers quelques lignes cet immense talent .

Igor Bouchen, c’est ce fameux nom d’artiste qui fut attribué à Mohamed Iguerbouchen ce grand compositeur algérien né le 13 novembre 1907 à Aït-Ouchen dans la wilaya de Tizi-Ouzou et décédé à Alger le 23 août 1966.

Le parcours atypique de ce seigneur de la composition musicale à de quoi nous surprendre de par la densité de son œuvre et de nous interpeler pour le sortir de l’oubli tant pour sa personne que pour son parcours . C’est peut être le premier et certainement le dernier qui à ce jour à introduit de sonorités typiquement Algériennes et mauresques dans des grandes œuvres de musiques classiques universelles présentées dans les grands concerts internationaux dans les plus grandes métropoles du monde.

Issu d’une famille très pauvre, le petit Mohamed va à l’école d’Aghrib à l’âge de six ans où il fût l’ élève studieux d’un instituteur du nom de Janin .ce dernier avait à l’époque constitué avec quelques uns de ses écoliers une fanfare qui s’était produite à Paris lors d’une présentation officielle.

Le petit berger qui passait le plus claire de son temps à jouer des airs du terroir avec sa flûte en bois, prenait par ailleurs ses études à cœur. En plus de l’enseignement de la langue française et l’éducation, Janin initiait ses jeunes élèves à la de musique.
Les cours de l’instituteur furent interrompus très tôt pour le petit Mohamed Iguerbouchen, car sa famille dû quitter Ait-Ouchen pour s’installer à la Casbah d’Alger. Elle s’est tout de suite liée d’amitié avec un comte anglais du nom Fraser Roth qui tenait un commerce mitoyen à leur maison.

Le petit Mohamed rejoint l’école de Sidi-Mhammed. Ce changement d’école qui l’a conduit de ses sentiers, de ses près et collines heureuses aux chemins, routes et escaliers escarpés de la Casbah ; n’a pas très affecté le jeune d’Ait-Ouchen qui a continué à briller dans les études et à perpétuer son amour pour la musique duquel il ne pouvait se séparer. « C’est sous les préaux de l’école où résonnait des voix cristallines et enthousiastes que je sentais naître ma vocation. Souvent, je fuyais ma charmante compagnie pour me recueillir à l’écart et siffloter, tout à mon aise, les bribes de phrases musicales, glanées au cours de mes excursions sentimentales dans les concerts publiques », se confiait-il.

Le petit gamin qui s’était vite adapté à la vie citadine ,se rendait souvent au square Bresson à Alger, pour assister avec beaucoup de joies et d’excitations aux concerts qui se donnaient trois fois par semaine. En plus de la flûte, Iguerbouchen a appris le solfège et à jouer du piano. Sa prodigieuse mémoire lui conférait cette capacité de rejouer des airs qu’il n’aurait entendus qu’une ou deux fois !

En 1919, Mohamed âgé à peine de 12 ans jouait de sa flute à coté du lieu où ce comte Fraser Roth, riche et puissant lord tenait son commerce qui était subjugué par l’extraordinaire mémoire musicale de cet enfant. Il proposera alors à ses parents de l’emmener parfaire ses études en Angleterre. L’accord donné, Fraser Roth a inscrit Mohamed au Norton Collège, ensuite à l’Academy Royal of Music de Londres où il est encadré par le célèbre professeur Levingstonv.Il poursuit son cursus en se spécialisant dans l’apprentissage de la théorie musicale et abordera des études de l’harmonie, dans le même établissement.

En 1924, toujours en quête de progression, il profite des terres de chasse de son bienfaiteur le comte Fraser Roth pour se rendre à Vienne en Autriche, parfaire son art auprès du grand maitre Alfred Kronfeld.

En 1925, à peine âgé de 18 ans ,il fit étalage de son immense talent en jouant son premier concert à Breguenz sur le lac de Constance et enchaina ensuite avec des œuvres de son propre répertoire comme Rapsodie Kabilia et Arabic rapsodie. Comme Aboutissement de ses dures années de labeur, Mohamed Iguerbouchen est couronné de succès puisqu’il obtint à cette occasion le premier prix de composition d’harmonie ainsi que le premier prix d’instrumentation et de piano. « Lorsque j’écris des musiques, je suis dans un tel état d’extase et de surexcitation que j’ai de la fièvre. Il m’arrive même de pleurer », avouait-il.

Un artiste prolifique
Outre les deux rapsodies citées plus haut, Iguerbouchen a écrit plus de 160 autres rapsodies toutes d’inspirations de l’héritage algérien .Aux merveilleuses symphonies succèdera la musique de films de 1928 à 1934, Mohamed Iguerbouchen se consacre à la composition d’œuvres symphoniques.

En 1928, il a composé la musique du film Aziza de Mohamed Zinet et 1937, il a co-signé avec Vincent Scotto la musique du film Pépé le Moko de Jean Gabin et J. Duvivier (voir vidéo). il a composé pour bon nombre d’autres films, tels que Les Plongeurs du désert et Cirta de Tahar Hennache, ainsi que Le Palais Solitaire qui relate la vie dans le grand désert, l’ Homme bleu qui est un film sur la vie des Touareg.

1937,après avoir subi un examen, il est admis à la Société des auteurs et compositeurs de musique comme auteur-compositeur et, dans la même année, comme membre de la Société des auteurs dramatiques. Après la musique de Pépé le Moko, il écrit, en 1937 la partition du film Terre idéale sur la Tunisie.

1938, découvre à Paris un chanteur qui devait faire parler de lui : Salim Hallali, bien connu dans le monde musical arabe. Après l’avoir formé, il l’aide à enregistrer une cinquantaine de chansons dont la popularité fut sans limites.

Mohamed Iguerbouchen est chargé en 1940 de la direction musicale de Paris Mondial où il compose une vingtaine de courts-métrages pour la firme Jean Mercier : Eaux vives, Glaciers, Le plus bel homme du monde, et bien autres et les films de Georges Letourneur de Marçay : Doigt de Lumière, L’Empire au service de la France, ainsi que d’autres. En Début 1945, il compose une centaine de mélodies d’après les poèmes des Milles et Une Nuits, de Rabindranath Tagore.

Mohamed Iguerbouchen est nommé sociétaire définitif de la Société des auteurs et compositeur de musique. Il compose alors Kabyliya, symphonie pour orchestre symphonique, Saraswati, poème symphonique ; Danse devant la mort, ballet, et deux rapsodies kabyles pour grand orchestre.

Une quarantaine d’émissions littéraires originales d’une durée de trente minutes intitulées Chants d’amour de l’Islam, sont diffusés sur la chaîne Paris-Inter, ainsi qu’une quarantaine d’autres, sous le thème d’Orient.

Il est sollicité par Si Kaddour Benghabrit, ministre plénipotentiaire, pour composer une musique de ballet pour le Roi du Maroc qui s’intitule, Ferrier Orientaler. Bien que demandé par les firmes internationales, dont la MGM, Mohamed Iguerbouchen, envahi par l’amour de son pays, préfère se joindre à ses compatriotes afin de les imprégner de l’art qu’il colporte à travers le monde musical.

En 1956 Mohamed Iguerbouchen débute comme chef d’orchestre aux Elak (émission de langues arabe et kabyle) ; 165 œuvres modernes réalisées à la fin de l’année composent une synthèse entre musique orientale et occidentale aux mambos, valses, marches, boléros, et autres, succédèrent ensuite des mélodies pour la célèbre chanteuse Souleiha, ainsi que des œuvres orchestrales telle : que Rapsodie concertante, Fantaisie algérienne, Concerto pour alto et orchestre, des trios, quatuors pour flûte, luth, quanoun et derbouka.

Ami d’Albert Camus et membre du comité d’honneur de l’Association des journalistes, écrivains et artistes de France et d’Outre-mer, Mohamed Iguerbouchen est formé dans le domaine littéraire, par Albert Camus, de 1930 à 1934 ensuite par Guillot de Saix, à Paris, et élève du professeur Destaing de l’école de Langues orientales de Paris, de 1939 à 1942 pour les langues berbères : chleuh, chaouia, tamacheq.

A ce répertoire, s’ajoute une maîtrise très correcte des langes anglaise, allemande, espagnole et arabe. Mohamed Iguerbouchen à disparu en 1966, laissant derrière lui un grand travail d’artiste.
Il a également présenté des émissions radiophoniques en langue kabyle, sauvant ainsi de l’oubli bien des chanteurs et chants amazighs. Ses émissions radiophoniques existent encore dans les archives de l’INA (Institut national de l’audiovisuel) avec d’autres émissions télévisuelles. La télévision française et la Bibliothèque de France disposent dans leurs archives des œuvres de ce monument de la musique universelle. Une partie de son œuvre est également archivée dans sa maison de Bouzeréah, mais dont l’accès est encore interdit par sa famille.

Près de 600 œuvres de ce musicologue sont aujourd’hui éparpillées à travers le monde et incomplètement répertoriées.
« Iguerbouchen est le seul en son temps qui ait réussi à faire interpréter les différentes cultures africaine, arabe et occidentale qu’il maîtrisait tout à la fois », témoigne son ami Mohamed Yala.

Ingratitude, quand tu nous tiens.
Rentré en 1963 pour se mettre au service de son pays nouvellement indépendant ,il mourut à Alger presque dans l’indifférence en juillet 1966 à l’âge de 59 ans après une longue maladie .Il fut accompagné à sa dernière demeure , accompagné seulement par les membres de sa famille et de quelques amis fidèles.

Signalons qu’après sa mort, Fraser Roth lui légua sa maison de maître sise à Cherchell.

Notes  : les mélomanes ,les intéressés continueront par eux même à se documenter sur l’homme et son œuvre .Pour contribuer à notre façon ,nous proposons à nos amis lecteurs le film entier Moko le Pépé ,entièrement joué à la casbah d’Alger en 1937.Une vidéo représentant l’une des nombreuses œuvres du Maitre Iguerbouchen et une autre (Ghorbati) de Salim halali ,un autre natif d’Algérie avec qui il collabora pour son répertoire musical qui a fait de lui une grande vedette de la musique arabe .

La BBC a réalisé un film entièrement dédié à Mohamed Iguerbouchen.

Nous pensons qu’ Iguerbouchen qui vivait mal son exil en avait pressé tout son talent pour exprimer toute sa nostalgie à travers Guorbati de Salim Halali. Nous savons que cette chanson a fait pleurer plus d’un vivant loin du pays .Ce petit rappel est destiné à nos amis qui vivent loin et à qui nous demandons des excuses pour ce réveil de sentiments

Comme pour nous ,après lecture et écoute ,vous apprendrez certainement à apprécier Mohamed Iguerbouchen .Nous vous demandons une pieuse pensé pour lui et d’en parler autour de vous pour le sortir de l’oubli.
Merci à de nous avoir suivi.

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