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Cours particuliers, l’anarchie !

vendredi 19 octobre 2018, par F. Senoussaoui


Reportage réalisé par F.S.

Cela fait plusieurs années que le phénomène des cours de soutien particuliers prend de l’ampleur. D’une année à l’autre, les parents constatent que ces cours qui leur coutent les yeux de la tête deviennent nécessaires. A tous coin de rue et au nez et la barbe des pouvoirs publics , des locaux, des garages ou des appartements sont transformés en salles de cours dont certains sont ouvertes de six heures du matin jusqu’à 22 heures, voire 23 heures du soir. Une véritable aubaine pour les professeurs et une corvée pour les parents qui ne savent à quel saint se vouer. Beaucoup de parents disent qu’ils sont obligés de payer les cours pour leurs enfants car ils ont peur des représailles des professeurs qui demandent à leurs élèves de suivre des cours particuliers. « Nous sommes entrain d’acheter les différents examens officiels, Le rôle des établissements a été limité à la présence. Pour comprendre et être compétent, il faut suivre des cours particuliers soit dans des groupes soit en individuel ».Nous dira Yacine, un parent d’élève. Et de renchérir : « Ma fille est excellente, cependant son professeur de mathématiques, dès le premier jour de la rentrée scolaire leur a indiqué qu’il assure des cours au niveau d’une Hara non loin du lycée et qu’il est bénéfique pour se perfectionner de suivre des cours ».

Il est à noter que chaque année, le nombre de professeurs assurant des cours particuliers augmente, le nombre de garages et d’écoles illégales aussi. En effet, de véritables établissements scolaires ouvrent leurs portes dans l’illégalité avec l’organisation des établissements agrées dont un gérant, un surveillant, une femme de ménage. Tous près des lycées publiques, ils facilitent un tant soit peu la tache aux élèves. « Au niveau du lycée, mon fils termine ses cours à 17 heures, il entame les cours particuliers jusqu’à 21 heures, à 17H 30. Heureusement qu’il est tout près », nous confia Mohamed qui estime que les résultats réalisés par ses élèves ne sont pas les résultats des établissements publiques mais des garages ou les professeurs, contrairement aux établissements publiques, se donnent à fond.

Des tarifs exorbitants qui touchent le pouvoir d’achat des ménages

Les prix affiché sont exorbitants, car pour le primaire, les potaches payent 1000 dinars la matière et comme pour la cinquième AP, l’élève doit suivre des cours d’arabe, de calcul et de français, à raison de 1 000 DA chaque discipline, il paye trois mille dinars le mois .Même chose pour les élèves du moyen car pour chaque matière les parents consacrent 1000 dinars par mois. Pour les élèves du secondaire, notamment ceux des classes de terminale, la facture est plus salée. Des parents payent jusqu’à 500 mille dinars d’honoraires par an. Kamel, un parent d’élève nous a confié que l’année dernière, le baccalauréat de son fils lui a couté pas moins de 500 mille dinars entre cours particuliers dans presque toutes les matières. « Outre les désagréments causés par ses cours de soutien, les tarifs adoptés sont très élevés. En hiver je ne rentrais pas à la maison avant 23 heures ». Nous dira notre interlocuteur. Plusieurs formules de cours particuliers sont proposées aux parents. Les tarifs du groupe normal dont le nombre d’élèves dépasse parfois les 120 personnes est fixé entre 2500 et 2600 dinars. Le groupe dit spécial est souvent composé de 40 à 60 élèves est payé 5000 dinars le mois sans parler du payement des polycopies. Quant cours individuels, ils sont payés 2000 dinars l’heure par matière.

De son coté, Ibtissem, une mère d’un élève de troisième année secondaire a tenu à confier à Liberté qu’elle n’a jamais cru que les cours particuliers sont un véritable périple qui stresse et les élèves et les parents. « Le premier cours particulier de mon fils commence à six heures du matin, je dois le récupérer à 7 h45 mn pour le déposer au lycée loin de pas moins de six kilomètres .C’est un véritable parcours du combattant », nous dira t-elle. Le soir, il termine à 17 heures, je le récupère non pour qu’il rentre à la maison mais pour le déposer dans un autre garage où il suit des cours de mathématiques jusqu’à 20 heures .Il rend son gouter dans la voiture. Il n’a même pas le temps de respirer », nous dira t- elle.

Pr. Noui Djemai sociologue à l’université de Sétif
L’Etat doit interdire les cours particuliers

Pour le Pr. Noui Djemai enseignant et chercheur en sociologie à l’université Mohamed Lmaine Debaghine de sétif, le phénomène des cours particuliers s’est répandu telle une trainée de poudre, notamment après les réformes du système éducatif en 1999.L’arrivée de la cohorte en terminale a fait que les élèves étaient à la recherche d’une compréhension, voire d’un soutien. « Les élèves ainsi que leurs parents voyaient qu’il n’y avait pas d’équilibre entre le contenu des programmes et le temps alloué à chaque discipline. Cependant le problème a continué à exister même après la stabilité constatée dans les réformes car le laxisme des pouvoirs publics a fait qu’une école privée illégale et désorganisée a été créée en parallèle ».Nous dira Pr Noui.

Notre interlocuteur voit que la société civile, les pouvoirs publics, les syndicats du secteur de l’éducation ainsi que le ministère n’ont pas pris la position adéquate pour lutter contre ce phénomène qui gangrène le secteur de l’éducation et qui peut même fausser les résultats de la réforme et qui touche la crédibilité d’une institution étatique qui doit être sacralisée afin d’assurer l’égalité des chances. « Les cours particuliers qui étaient une spécificité des milieux urbains est entrain de se généraliser et a même touché les milieux ruraux et les régions éloignées. Nous pouvons dire qu’il y a une sorte de contagion qui doit être l’objet d’une lutte sans merci ».A tenu à souligner notre interlocuteur. Et de renchérir : « Nous avons « Nous avons constaté que les familles jouent pleinement leur rôle dans l’instruction de leurs enfants au point où celle qui n’adhère pas à ces cours de soutien est dans l’imaginaire social mal vue, voire vue comme défaillante et négligente à l’égard de son enfant ».

Les sociologues voient que pour endiguer ce phénomène les pouvoirs publics doivent jouer leur role.En effet, le ministère de l’éducation nationale doit installer une commission composée des différents acteurs potentiels dont les syndicats, les fédérations des parents d’élèves. « L’Etat régalien, à travers le ministère de l’intérieur et autre institution doit fermer ces lieux qui peuvent aussi constituer un danger pour la sécurité et la santé des enfants ».Dira Pr Noui.

Les cours de soutien dans les établissements …une formule à améliorer

Cela fait plusieurs années que le ministère de l’éducation nationale a instauré des cours de soutien au niveau des établissements scolaires tous paliers confondus, cependant les résultats réalisés n’ont pas été très satisfaisants car sauf exception, les cours dispensés par les professeurs au niveau des établissements publics sont généralement boudés par les élèves .Pis encore, la grande majorité des élèves des classes de terminales abandonnent les bancs du lycée dès le début du deuxième trimestre. Des professeurs et parfois des inspecteurs proposent des cours particuliers à tous coin de rue et aux horaires choisis par les lycéens eux-mêmes, des cours à la carte et selon les besoins de chacun des apprenants. « Ne faut-il pas s’inspirer de l’organisation des cours particuliers tout en améliorant la rémunération des professeurs exerçant au niveau des établissements publiques ? » S’est interrogé un inspecteur du moyen.

De son coté,M.Lahlou Azeradj ,Inspecteur de l’éducation nationale estime que ce phénomène qui s’explique par des facteurs socio psychologiques revient à la société qui a de gros doutes quant aux compétences professionnelles du corps enseignant ; en second lieu, la peur de l’échec et son effet immédiat la rue et quelquefois la délinquance ; par ailleurs la pression exercée sur les parents et les enfants est souvent source de stress qui trouve son unique remède dans les cours particuliers ; enfin il faut ajouter qu’il est de plus en plus difficile d’aider ses enfants à réviser ou à faire leurs devoirs ».Dira M.Azeradj qui voit qu’il est tout-à-fait naturel de voir les parents payer de plus en plus cher pour accroitre les chances de réussite de leur progéniture.

« Je considère à titre personnel, que les cours particuliers constituent un appoint, un complément de formation et une aide précieuse pour les élèves. Néanmoins, il serait judicieux de mettre en place une réglementation adéquate pour lutter contre les effets pervers que tout le monde connait et dénonce en fixant le nombre d’élèves par groupe à dix au plus tout en Interdisant à tout professeur d’enseigner des élèves du même établissement scolaire dans lequel il exerce car les dérives en matière d’évaluation sont connues et décriées par tous ».Et d’ajouter : « Il faut aussi obliger chaque professeur à individualiser les parcours par l’utilisation de listes de vérification des compétences et savoirs de l’élève. Cela permettra de dispenser des apprentissages liés aux besoins des élèves et permettre l’ouverture de boites de soutien scolaire suivies et contrôlées et adossées à un cahier de charges. Par ailleurs, il faut aussi améliorer les conditions d’accueil en mettant fin aux garages et caves qui n’offrent pas des conditions de travail correctes et de la sécurité .Cela est possible par la création de sanctions contre tout contrevenant à la réglementation en vigueur ».Notre interlocuteur ira plus loin en proposant de louer les établissements scolaires en dehors des heures de cours ,à savoir après 17 heures, les weekends et durant les vacances scolaires , à des entités privées, des associations ou des collèges de professeurs. Cela permettra, selon le pédagogue, de financer l’entretien et le fonctionnement des établissements scolaires et de mettre les lycéens dans des conditions de travail idéales.

Il est à souligner que tous les partenaires sont unanimes quant à la nécessité d’organiser le secteur qui évolue dans l’anarchie totale, au profit d’un système de soutien scolaire réglementé, contrôlé, pensé et suivi.

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