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Le 20ème vendredi de la contestation à Sétif : La liesse

samedi 6 juillet 2019, par Hamoud ZITOUNI


En ce vendredi du 5 juillet, comme dans tout le reste du pays, le peuple de Sétif, dans toute sa diversité, ses générations, ses couleurs et ses sonorités, a convergé en force vers le centre –ville, en face du siège de la wilaya, lieu habituel de regroupement. Au pic de leur affluence, vers 16 heures, le nombre de manifestants est estimé à près de 20 000 personnes.

Contrairement à son habitude, la police en tenue était fortement présente sur les lieux et tout le long de la procession des manifestants. En plus des véhicules de service habituels, pas moins de 4 fourgons bleus de brigades anti émeute s’affichaient aux abords du regroupement. Routine professionnelle d’anticipation et de prévention ? Démonstration de force dissuasive ? Sur des postes avancés, des policiers délestaient, sans violence et même courtoisement, des citoyens de leurs pancartes et écriteaux au contenu même pas subversif que l’on avait l’habitude de brandir les vendredis précédents. Faisant de « la selmia » leur guidance, les citoyens ne présentaient aucune résistance à ce délestage pour le moins incompris.

Vers 14 heures alors que la foule grossissait peu à peu et qu’on s’apprêtait à entamer la marche habituelle de la contestation un évènement survient. Des hommes bleus des brigades anti-émeute arrachent de la foule un manifestant et l’enferment rapidement dans un fourgon stationné alentour. Sans que l’on sache dans l’immédiat le motif de cette arrestation. Alors, la foule s’agglutine comme un essaim d’abeille autour du fourgon lui-même cerné par une bonne dizaine de policiers. Sous un soleil tapant très fort, les esprits s’échauffent vite mais sans aucune violence physique. Seuls les slogans acerbes se relaient : « machi boulicia, doula madania » (Pas d’Etat policier, Etat civil), « La lil aar, boulici wala hegar » (Non au scandale, le policier est devenu répressif), « libiri khawatna » (libérez nos frères). Sur les visages sereins et impassibles des hommes en bleu, on peut lire aisément la crainte que cela puisse tourner mal pour tous. L’œil inquiet est à la vigilance. Un moment pathétique qui a duré une bonne demi heure tandis que la personne arrêtée cuisait littéralement dans le camion à plus de 40 degrés. Puis, enfin, comme un petit vent de fraîcheur, l’ordre de libérer le détenu est donné par talkie walkie. Une silhouette frêle d’un jeune homme est apparue à la foule qui l’asperge d’eau. Son visage rougi par la touffeur du sauna où il était enfermé est marqué par la frayeur et la stupeur. Des mains vigoureuses le soulèvent au dessus de la foule. On lui donne à boire et on lui tend une bannière des couleurs nationale qu’il brandit fièrement autant que faire se peut, éprouvé qu’il est par une demi heure d’enferment imprudent. Dans la touffeur du fourgon, il aurait pu en pâtir de déshydratation et de suffocation. Renseignement pris chez ce héros d’un instant, malgré lui, on lui reprochait de prendre des photos et de les transmettre à la chaîne quatarie el Djazira, ce qu’il dément catégoriquement. Mais est-ce interdit de le faire ? Est-ce possible d’assurer cette interdiction même avec les moyens actuels qu’offrent les TIC ? La foule heureuse de sa victoire abandonne son hostilité verbale envers les hommes en bleu qui, visiblement soulagés, affichent désormais quelques discrets petits sourires. Des manifestants viennent mêmes les embrasser et les féliciter de l’acte de libération du jeune détenu. Images fortement contrastées avec celles provenant de la capitale où on s’est acharné à coup de rangers et de matraque sur un manifestant. Touchons du bois.

La marche démarre en trombe. Une coulée humaine multicolore qui s’étire sur près d’un kilomètre. On remise les slogans hostiles à la police et on ressort ceux remis au goût du jour : « Doula madania, la askaria » (Etat civil, non militaire), « Klitou lablad ya essarakine » (Vous avez pillé le pays bande de voleurs), « makanche lintikhabat maa el issabat » (Pas d’élections avec les gangs), « maranache habsine, koul djemaa khardjine » (Nous nous arrêterons pas, chaque vendredi nous sortons), « yett’hasbou gaa » (Ils rendront des comptes tous). Au total d’une dizaine de slogans anciens et nouveaux franchement hostiles aux détenteurs du pouvoir sont relayés par des chants patriotiques ou hirakistes comme « min djibalina » ou « irr’halou » (Partez !).

De mémoire de sénior, jamais le 5 juillet, n’a connu d’aussi belle liesse populaire depuis 1962 à ce jour. Dès 1963, la fête de l’indépendance, a perdu son aspect populaire, pour devenir une affaire de cortèges, de dépôt de gerbes et de tribunes garnies d’officiels, de défilés de masses embrigadées sous le contrôle d’appareils politiques. Même le pluralisme frelaté de façade n’a permis au peuple de fêter dans la communion et la joie patriotiques cet important rendez vous de l’histoire de la Nation. La commémoration du premier novembre, premier acte fondateur de l’Algérie moderne a connu, hélas lui aussi, le même sort. Je me rappelle aussi de ce pathétique rassemblement d’il y a quelques années pour commémorer le 8 mai 1945 à Sétif : à peine quelques dizaines de vieux moudjahidine suivaient péniblement la cohorte officielle qui se déplaçait au pas de charge vers la stèle de Bouzid Saal. Un fort signe du divorce qui ne disait pas encore son nom entre le peuple et ses dirigeants. 57 ans plus tard, dans les conditions actuelles qu’on connaît, le peuple semble reprendre espoir et se réapproprier son destin, son histoire et sa fête nationale. Vive le 5 juillet. Vive le 1er novembre. Vive l’Algérie libre et démocratique.

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