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CHU de Sétif : Immersion nocturne au cœur de la maternité

mardi 6 juin 2017, par Liberté


Pour s’enquérir davantage des conditions d’hospitalisation des parturientes et de travail des différents intervenants, Liberté a décidé de passer une nuit entière dans… les couloirs de la maternité.

La maternité du CHU Saâdna-Abdennour de Sétif continue de faire couler beaucoup d’encre. En effet, l’ouverture de la nouvelle structure en 2014, en remplacement de celle de l’unité Kharchi-Messaouda sise à la cité Kaâboub, est loin d’avoir réglé le problème de surcharge, ce qui inquiète les citoyens, les médecins et le corps paramédical et met mal à l’aise les responsables du secteur dans une wilaya qui dessert un bassin de plus de cinq millions d’habitants. Le décès, dernièrement, de deux parturientes à la nouvelle maternité d’El-Bez a, en fait, relancé le débat. “Depuis le début de l’année, nous avons malheureusement perdu deux parturientes, même si le nombre de décès a sensiblement diminué. Il est passé de 11 décès en 2015 à 4 en 2016. Les efforts de tout un chacun doivent être conjugués pour arriver à zéro décès”, nous a déclaré le DG du CHU de Sétif. De son côté, la directrice de la maternité d’El-Bez, Mlle Yousra Tabtoub, dira que “depuis le début de l’année en cours, nous avons enregistré 6 327 admissions et 5 160 accouchements avec 4 651 naissances. L’année passée, elles étaient près de vingt mille parturientes admises au niveau de notre structure.” Pour s’enquérir davantage des conditions d’hospitalisation des parturientes et de travail des différents intervenants, Liberté a décidé de plonger une nuit entière dans… les couloirs de la maternité.

Près de 50 admissions par jour
20 h, un week-end, la charge de travail est très grande. Dr Nehaoua qui a assuré la garde de jour, parle avec la directrice de garde Mme Guergour, de plusieurs dizaines de femmes consultées et admises. Lors de la passation de consignes, l’on parle de près de 90 femmes consultées et de plusieurs dizaines d’admissions. Cette charge qualifiée, notamment par les sages femmes, d’insupportable, influe sur la qualité des soins. “Le nombre de sages-femmes est insuffisant. Pour cette garde, nous sommes trois seulement, car une de nos collègues est en congé maladie. Nous devons prendre notre mal en patience mais parfois nous craquons. À l’approche du mois sacré, c’est le stress qui s’installe. Durant la période d’été, la charge s’accentue. Pour prendre quelques jours de congé, c’est toute une acrobatie à faire”, nous dira Mme Nani, une sage-femme qui a à son actif plus de dix ans d’ancienneté. Dans le parking de la maternité, des voitures aux plaques d’immatriculation cosmopolites. Le registre des admissions confirme l’évacuation des parturientes à partir de plusieurs wilayas limitrophes dont Bordj Bou-Arréridj, M’sila, Batna, Béjaïa et même Mila, sans parler des communes de Sétif.
Une infirmière du service réservé aux grossesses à haut risque nous indique qu’elle prend toute seule en charge plus de soixante parturientes durant sa garde. À l’instar de plusieurs de ses collègues, elle soulève un problème qui semble échapper aux responsables. “Le seul moyen pour mettre fin au problème de manque de sages-femmes et de personnel paramédical est une meilleure répartition de l’effectif. Au moment où nous assurons une garde pour pas moins de cinquante femmes, nos collègues des cliniques rurales sont chez elles, et même dans la journée elles ne font qu’une dizaine d’accouchements au maximum. La nuit, elles évacuent les femmes pour accoucher ici à Sétif”, dira notre interlocutrice. Une autre sage-femme renchérit : “Nous n’avons pas peur du travail et nous n’avons rien contre les femmes qui viennent pour accoucher ici même si elles ne sont pas de Sétif. Cependant, nous voulons plus de moyens et une meilleure répartition des sages-femmes et infirmières affectées à travers les quatre coins de la wilaya.” Elle ajoutera : “Sous d’autres cieux, notamment dans des pays qui sont une référence pour nous, l’option des maternités rurales a été abandonnée, et nous, nous continuons à faire la sourde oreille. Le constat est là, on ne peut pas continuer à travailler dans ces conditions.”

Ruée vers la structure
Dans la salle d’attente, nous avons interrogé une femme évacuée par ses proches de la maternité de Bir Kasd-Ali, dans la wilaya de BBA. Elle nous dira que le médecin de Bir Kasd-Ali l’a évacuée vers Sétif parce que son cas nécessite une prise en charge dans l’urgence. Une fois, l’échographie faite par le médecin généraliste de garde, il s’est avéré que la parturiente, une multipare (qui a accouché quatre fois auparavant), pouvait accoucher par voix basse à la maternité de sa localité.
Pour en savoir davantage sur ce cas, lors de notre discussion avec des proches de la femme qui l’accompagnaient, nous sommes arrivés à déduire que la femme et ses proches voulaient qu’elle accouche à Sétif. Un prestige ! Le médecin de garde, Dr Amel Amor, ajoutera que, souvent, la structure reçoit des demandes pour l’évacuation de femmes enceintes examinées au niveau d’une autre structure. “Les médecins qui nous contactent disent que c’est dans le cadre de l’urgence, mais une fois arrivée à la maternité de Sétif, on se rend compte que la femme évacuée ne nécessite aucune prise en charge dans l’urgence et qu’elle pouvait accoucher à la maternité de sa ville ou de son village”, nous dira la généraliste de garde Dr Amor. Et de renchérir : “Le problème, c’est qu’une fois arrivées, on doit les garder de peur de complications. Cet état de fait influe sur la prise en charge des femmes que nous avons vues au niveau de l’unité. C’est pour cela que nous nous retrouvons avec deux femmes par lit et parfois on met des matelas par terre.” Il est 22h30 quand une femme de 34 ans a été évacuée de la maternité d’El-Eulma vers la maternité de Sétif, alors qu’elle pouvait être prise en charge dans sa localité. Vers minuit, une femme de Ras El-Ma est évacuée sous prétexte que sa tension artérielle est un peu élevée. Le personnel est unanime quant à cet état de fait qui compromet la prise en charge des parturientes. Ils disent tous que c’est une vérité qui ne peut être cachée, et ce n’est ni la faute des médecins ni celles des paramédicaux ou de l’administration. Une sage-femme dira en substance : “Dernièrement, nous avons accordé à une maternité de BBA de prendre en charge une femme enceinte, cependant avant d’arriver ici, elle a accouché dans l’ambulance près de l’aéroport de Sétif. C’est une preuve qu’elle n’avait rien d’urgent et ils pouvaient lui épargner le déplacement et le trajet sur plus de quarante kilomètres. C’est une multipare qui ne souffrait d’aucune complication”, nous dira une sage-femme. Une autre sage-femme dira : “Parfois, nous avons des pénuries de produits et matériels, c’est très normal. Cela est dû au grand nombre de femmes admises. Au moment où les médicaments et autres consommables sont stockés dans des structures rurales aux quatre coins de la wilaya, nous en consommons beaucoup”, dira-t-elle. Et de poursuivre : “Même les tables d’accouchement sont devenues des consommables. Cela montre la grande charge que nous avons.”

Dénonciation
Mohamed, un quinquagénaire qui accompagne sa femme multipare, nous dira que les salles sont très sales et que la prise en charge laisse à désirer. Pour défendre la structure où elle travaille, une infirmière dira : “C’est une structure qui travaille au-dessus de sa capacité. Le grand nombre de femmes admises empêche de bien travailler. Même les femmes de ménage et les agents de sécurité sont dépassés. Il faut revoir tout le système.” Il est à rappeler que les familles des deux femmes décédées dernièrement, suite à ce que leurs parents qualifient de “mauvaise prise en charge”, indiquent que le pire aurait pu être évité s’il y avait un spécialiste en gynécologie et s’il n’y avait pas deux patientes par lit. Selon certaines indiscrétions, le médecin généraliste qui était de garde a fait de son mieux pour prendre en charge la malade, cependant cette dernière a rendu l’âme. La chute du lit que la malade partageait avec une autre a accentué son état.

Les missions chinoises
À la maternité du chef-lieu de wilaya, le sempiternel problème relatif au manque de médecins spécialistes est comblé par la mission chinoise composée de quatre obstétriciens, deux anesthésistes et une seule interprète. “Avec une seule interprète, nous avons du mal à communiquer avec les Chinois, notamment les premiers mois, car la seule interprète ne peut pas assurer toutes les gardes. Sur le plan scientifique, nous n’avons pas le même protocole de prise en charge et cela complique souvent la communication avec eux, notamment durant les gardes”, nous dira l’omnipraticienne. Certains connaisseurs proposent la formation de médecins généralistes en césarienne et forceps. Une option qui a fait ses preuves auparavant. Les établissements de santé de proximité peuvent mettre la main à la pâte pour réquisitionner notamment les sages-femmes, qui n’ont aucune garde dans la structure où elles sont affectées, pour assurer des gardes à la maternité. Des solutions qui ne peuvent être concrétisées sans l’aval de la direction de la santé qui doit jouer son rôle de chef d’orchestre. “Au moment où nous assurons jusqu’à dix gardes par mois, nos consœurs des autres structures n’en font aucune”, nous dira une sage-femme.

Reportage réalisé par : Faouzi Senoussaoui

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