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Abdelkrim Babouche : Un militant convaincu

dimanche 2 juin 2013, , article écrit par El yazid Dib, Sétif Info et publié par La rédaction


L’homme est connu, pour ceux qui ne le connaissent pas, seulement comme une icône d’élégance à Sétif. On le voit faire ses cents pas le long du boulevard, éternellement bien vêtu, rassuré et saluant tout un chacun. Mais qui est donc cet homme qui s’habille presque toujours en blanc ?

Aujourd’hui, après des années de repli, loin des enchantements qui accompagnent le pouvoir et ses postes et de la précarité qui les menace, le boy-scout, le Moudjahid, le militant, le prisonnier, l’avocat des détenus , le premier député, le défenseur des pauvres ; Abdelkrim Babouche nous fait revivre par émotion sublime ces jours de résistance acharnée qui ont fait frissonner tous les jeunes militants en faisant trembler l’occupant.

Sétif lui est tel un crédo sacro-saint. Une espèce de pari à devoir défier le temps et parfois même la fatalité. Il ne cesse de répéter « Je suis né à Sétif et j’y ai toujours vécu ». Dans cette profession de foi, l’interlocuteur dans un sourire léger et enrobé de légers soupirs presque inaudibles, dégage sans le dire les effluves laissant apparaitre quand bien même des regrets et des remords. Il nous disait : « Je suis né à Sétif et j’y ai toujours vécu sauf pendant mes 5 années de captivité »

Avant même que ces « années de captivité » aussi longues soient-elles, Abdelkrim Babouche naissait dans des conditions où Sétif continuait à se faire. En ces années là, face à l’ancien Hôtel des Postes, le marché couvert de Sétif venait de connaitre sa première pierre. A l’origine il y avait seulement deux issues. Nous sommes en 1930. La cité des cheminots commençait, quant à elle à prendre forme. Le Mahatma Gandhi, militant nationaliste indien, lançait à cette époque une vaste campagne de désobéissance civile et de résistance passive contre la tutelle de l’Angleterre. La France fêtait son siècle d’occupation du sol algérien. C’est dans cette atmosphère de balbutiement de conscience au niveau international qu’est né un certain matin du 24 décembre 1930 Abdelkrim Babouche quelque part dans « Haret Ammar daira » sise à la rue Saadana Abdenour ex-rue du Général Pershing en plein centre ville. Selon certains dires, Ahmed Taleb Ibrahimi serait né également dans cet espace. Son père Messaoud Ben Smail et sa mère Rouabah Messaouda Bent Abdallah étaient de modestes gens. Sa demeure natale est à quelques mètres de la mosquée de Langar, là ou un 08 mai 1945 allait connaitre un génocide régional. Alors Abdelkrim du haut de ses 14/15 ans, prenant part à la procession et à la marche qui eurent lieu en ce jour fatidique, commençait à discerner la barbarie sévissant dans son propre pays et l’injustice s’abattant sur les siens.

Après des études primaires à l’école du marché ex Ecoles laïques actuellement (Allem Mansour) puis secondaires au Lycée Mohamed Kerouani ex- Eugene Albertini ; il entreprit des études de Droit à la Faculté des sciences juridiques d’Alger. Une fois son cursus terminé il s’attelait à s’installer en qualité de conseil juridique et agent général d’assurances à Sétif au 28, rue Valée. C’est aussi dans les scouts musulmans algériens que sa conscience s’est forgée au service des grands idéaux de liberté et de solidarité. Adolescent, il voyait défiler des personnalités dans le magasin d’artisanat et de maroquinerie que gérait son oncle maternelle Rouabeh Dhiab. De ferhat Abbas, à Hacen Belkhired jusqu’à Bachir Ibrahimi.

Dès les premiers coups de feu à Sétif tout au début de l’année 1956, le jeune juriste rejoignait les rangs du FLN en compagnie de toute une panoplie de jeunes citadins, tous engagé et émus par le sentiment nationaliste, dans cette terre si généreuse et pourvoyeuse d’énergie et de dynamisme révolutionnaire. Sétif, en fait était une plaque tournante du militantisme. Les conséquences des massacres du 08 mai 1945, et bien avant permirent à toute une génération imbue d’idéaux de liberté de prendre le maquis. Said Boukhrissa, Maiza Ali Haffad Hadj , Ahmed Rouabah et autres furent de ceux qui ont eu à connaitre Babouche mais aussi les affres et les souffrances qu’implique l’élan de vouloir briser avec sacrifice et abnégation le joug colonial.
Parallèlement aux actions armées qu’il a menées avec les fidayine Abdelkrim a assumé d’autres activités politiques. A ce propos il devait nous rappeler le travail qu’il a réalisé en 1957 pour le compte de la willaya 3 consistant en un traitement élémentaire d’instruction militaire grâce à des documents procurés et fournis par un ami alors en stage de formation militaire a l’étranger. Quant aux travaux d’impression ils ont été exécutés par une militante alors secrétaire du juge d’instruction et ce au sein même du Tribunal de Sétif et avec le matériel de ce dernier (Ronéo et dactylographie) devait-il nous rapporter.

Arrêté le 5 septembre 1957, suite aux représailles générales qui ont suivies la bataille d’Alger ; il a fait l’objet de 8 mandats de dépôt. Les verdicts les plus terribles commençaient à tomber sur la tête de ce jeune homme de 27 ans. Les châtiments furent prononcés avec rancune et hostilité par les juges militaires du tribunal des forces armées. Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité pour crime et trouble à l’ordre public. Une autre condamnation fut également énoncée à son encontre consistant en la réclusion à 20 ans de travaux forcés pour appartenance à organisation armée.
Apres avoir été torturé et condamné aux travaux forcés a perpétuité Babouche non sans se résigner purgea ses peines en détention a Sétif du 30/09/1957 au 04/12/1959 sous le n 1133 puis Constantine du 04/12/1959 au 24/02/1960 sous le n 6933 et finalement à là tristement célèbre prison de Lambèse du 24/02/1960 au 05/05/1962 sous l’écrou n 8108. C’est dans cet enfer, dans des conditions des plus déplorables que ses codétenus l’ont élu pour les représenter auprès des autorités ennemies et des instances internationales. Il entretenait dans le secret diverses correspondances avec le comité international de la croix rouge. A la stupéfaction des autorités pénitentiaires, le comité helvétique s’est alarmé des cas soulevés par Babouche et s’est élevé fermement contre le caractère inhumain observé à l’égard des prisonniers.

Dans ce bagne où règne une indicible barbarie, Babouche connut ceux qui seront entre autres des figures de proue dans l’Algérie indépendante. Abdallah Fadhel, Habib Djellouli, Abdelhamid Benzine, Bouzid Gharzouli, Mabrouk Kedad, le plus jeune condamné à mort sétifien, ainsi que Cheikh Hamani. Athmane Belouizdad, frère du chahid Mohamed faisait partie du lot.
« La voix du prisonnier » était un organe bimensuel et une tribune d’animation mais aussi de sensibilisation. Il s’éditait avec les moyens de bord, Babouche en assurait la supervision de concert avec un groupe de camarades. Il en avait également la charge de la rubrique du Droit international .En sus de cette activité didactique ; il s’adonnait à prodiguer des cours de français et d’initiation au droit aux prisonniers selon leur aptitude et graduation scolaires.

A sa libération de Lambèse le 5 mai 1962, il était le dernier prisonnier à sortir. Regagnant dans l’euphorie de la victoire Sétif, il fut désigné comme représentant du FLN pour l’ex-wilaya de Sétif (Sétif ; Bejaia, BBA, Ms’ila) lors de la compagne électorale en vue de référendum du 1 juillet 1962. Le 20 septembre 1964 furent organisées les élections législatives. A Sétif le FLN optait pour Bachir Boumaza comme tête de liste ; il avait entre autres colistiers Lakhdar Derradji un baroudeur et homme de poigne et de parole. Babouche en était candidat. Élu député au sein de cette première l’assemblée nationale, il fut désigné secrétaire du bureau de l’Assemblée, avec Hadj Benala puis membre du Conseil Supérieur de la magistrature. Il siégeait à cette instance en compagnie de Mohamed Harbi, Mohamed Cherif Mazouzi qui nous le rappelle était incarcéré depuis le 08 mai 1945, Bensid Abderrahmane et autres.

Depuis 1967, voulant se mettre à l’ombre de toute activité d’ordre politique il se consacra exclusivement à sa profession de Défenseur prés les tribunaux de la cours de Sétif. Il dit en tirer « une grande satisfaction d’avoir toujours défendu fidèlement les intérêts légitimes de mes clients ». Dans son bureau situé depuis longtemps au passage Bouthegège, appelé communément Droudj baoulou (Paolo) où il nous a reçu, le maitre préserve toujours ce décor impeccable. La modestie des lieux est égale à celle de son propriétaire. Seule sa robe d’audience est mise en relief sur un porte-manteau en bois d’ébène. Un drapeau tricolore, algérien semblant être tiré des archives de premières heures de sa confection est arboré à l’entrée de son officine. La salle des archives est tenue impeccablement. Il nous a fait différer gentiment notre intention d’y toucher, mettant mal et en léger humour la curiosité du chroniqueur. Nous aurions aussi remarqué que son cœur était tout aussi blanc que les spasmes qu’il ne se lassait pas d’extraire d’une poitrine certainement pleine et que le devoir de réserve ne peut totalement en découdre. A la fin de l’entretien nous nous sommes aperçu que nous étions en face d’un homme habillé en un beige très clair, presque du blanc.


El yazid Dib, Sétif Info

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