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Un enfant de Sétif revient après cinquante ans !

dimanche 25 août 2013, , article écrit par Toufik Yahia Chérif et publié par La rédaction


Exilé en France en 1965, LEVET Jean Louis, mon camarade de classe des années 63 à 65 est « revenu » dans son pays par la grande porte en qualité de « Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique », une mission dont l’a chargé le Gouvernement français en application des recommandations de la Déclaration conjointe franco-algérienne de partenariat industriel et productif de décembre 2012.

En fait Jean Louis a devancé « les déclarations officielles » et commencé sa « coopération » il y a cinq ans quand il a, à l’occasion d’une visite à l’université d’Alger, revu pour la première fois depuis son exil sa ville natale, Sétif. Lors de nos visites à la maison de ses parents et de ses grands-parents ainsi qu’à l’école où il s’est rassis presque instinctivement à sa place dans la classe de CE2, il n’a pu contenir son émotion qui nous a arraché des larmes. Il nous avoua qu’il venait de se libérer d’un complexe longtemps contenu : rapatriement ou exil ? Français ou algérien, est-ce important ? En tout état de cause Jean Louis n’a pas ressenti le moindre signe ni la moindre allusion de la part de ses anciens amis qui l’ont accueilli comme on accueille un frère longtemps parti. Rapidement l’émotion fait place à la raison et à l’esprit cartésien de l’intellectuel qui ressent naturellement le devoir de mettre ses compétences au service de la ville qui l’a vu naitre ainsi que ses parents qui étaient l’une institutrice et l’autre technicien des PTT. En effet Jean Louis collabore avec la faculté des sciences économiques de Sétif depuis 2009 et répond aux invitations malgré les lourdes charges qui le retiennent auprès du gouvernement français.

En parallèle Jean Louis s’est attelé à l’écriture d’un ouvrage dont il m’a fait l’honneur et le privilège de lire la version électronique avant sa parution et de tenir compte de quelques observations et informations si minimes fussent-elles.
Ce livre intitulé « France-Algérie, le grand malentendu » (Editions de l’Archipel, Paris 2012) est écrit conjointement avec Mourad Preure, un spécialiste algérien de géostratégie dont la profondeur des sentiments, la sensibilité et la parfaite connaissance de « l’enjeu franco-algérien » m’ont beaucoup impressionnés.

Faute de compétences en la matière, qu’il me soit permis de rapporter tout simplement une partie du résumé du livre pour en donner une opinion on ne peut plus claire :
« Pour la première fois, deux enfants d’Algérie, un fils de pied noir et un fils de moudjahid, un économiste et un spécialiste de géostratégie croisent leurs souvenirs et leurs points de vue. Au-delà des controverses encore vives sur le bilan de cent trente ans de présence française, les déchirements d’une guerre qui ne voulait pas dire son nom ou encore l’accueil indigne réservé aux « rapatriés », ils évoquent la terre de leur jeunesse, l’importance du lien franco-algériens et le devenir de ces deux pays au sein de « l’Euroméditerranée ». Sans laisser de côté des sujets aussi cruciaux que le terrorisme, l’immigration ou la place de l’islam.

A rebours des idées reçues, ils montrent que l’Algérie et la France ont une trajectoire commune à dessiner et proposent un ensemble d’orientations fortes pour un partenariat privilégié ».
Mais laissons à Jean Louis le soin de présenter son livre et nous ouvrir son cœur : « L’objectif de ce livre, pour moi, c’est d’abord de répondre à un besoin profond : sortir mon enfance d’un lointain exil et la réinsérer dans le continuum de ma vie. Cette enfance demeurait alors dans un coin très éloigné de ma mémoire. Comme si ma vie commençait avec mon arrivée en France. Nous sommes tous en quête d’équilibre. Ma quête, avec ce livre à deux, consiste à réinscrire ma vie dans la longue durée, sans laquelle il n’y a que le temps qui passe. Faire le lien entre cet arrière-grand-père, Jean-Baptiste Levet, que je n’ai pas connu et dont la photo orne mon bureau, posant fièrement devant sa maréchalerie à Sétif en 1908, mon grand-père Louis Terrasse. Paysan près de Boufarik au début des années 1930, affrontant trois années durant de gigantesques nuages de sauterelles qui ravagèrent ses champs de céréales, ma mère Ghyslaine, jeune institutrice emplie de convictions républicaines, passait ses soirées au cours des années 1950 et 1960 à corriger des piles de cahiers rouges et bleus, mon père Claude qui ne me montra jamais sa croix de guerre gagnée à dix-huit ans sur les champs de bataille lors de la campagne d’Italie avec cette magnifique armée d’Afrique, mon épouse Caroline et nos trois enfants désormais projetés dans le nouveau siècle. En recomposant ces souvenirs enfouis, je veux laisser un témoignage à Raphaëlle, Magdalena et Jean Sébastien pour leur montrer d’où ils viennent, ce qui s’est passé.
Cependant, avec Mourad, nous devons aller bien au-delà. En montrant aux hommes et aux femmes de bonne volonté, des deux côtés de la Méditerranée, qu’il est possible, par le dialogue, de mieux se comprendre, de se respecter, de sortir de quarante ans de blessures rentrées, afin de penser un avenir commun. Utopie, illusion, s’écrieront certains. Peut-être. En tout cas, c’est une aventure qu’il nous faut tenter, que notre génération doit tenter ».

Demandons-lui également de nous parler de l’avenir de nos deux pays :
« Pourquoi la France et l’Algérie doivent-elles se bâtir un destin commun ? Principalement pour quatre grandes raisons. D’abord, il est nécessaire d’apporter un message positif, de reconnaissance, à la jeunesse française d’origine algérienne et plus largement à l’ensemble des français d’origine algérienne… »
« N’oublions pas que l’Algérie représente pour les entreprises françaises un marché potentiel considérable et donc d’abord un partenaire, tout proche et de langue commune… »
« C’est la nécessité de construire une zone de prospérité, qui maîtrise son destin collectif. De plus, la présence croissante de l’Inde et surtout de la Chine dans cette région peut la transformer en plateforme d’exportation de produits à bas prix vers la France et l’Europe, concurrençant ainsi directement les entreprises françaises déjà fragilisées par la crise, et en Algérie, destabiliser encore davantage le tissu industriel et commercial notamment par l’importation de produits contrefaits ».

« La France, en densifiant ses relations avec un pays musulman au cœur du Maghreb, peut contribuer à la modernisation de l’islam. Sait-on qu’il y a autant de musulmans en France qu’aux Etats-Unis ? Les citoyens français musulmans ont à s’exprimer sur l’islam et sa place dans une société laïque. Leurs paroles, leurs écrits, peuvent peser dans le monde musulman. C’est l’intérêt de tous les français ».

Pour compléter cette présentation un peu maladroite, mais qui répond, je l’espère, à mon vœu de faire part aux Sétifiens en particulier et aux Algériens en général de la volonté des personnes comme Jean Louis d’œuvrer à la réconciliation et à la fraternisation de nos deux peuples qui ont beaucoup en commun, pour compléter donc cette dite présentation j’ai eu la permission d’y insérer quelques documents relatifs à la désignation de Jean Louis à la Coopération ainsi qu’une biographie restreinte de son parcours professionenel.


Toufik Yahia Chérif

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