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La misère au quotidien à Zraya

Perpétuel combat contre l’oubli et l’isolement

lundi 13 mars 2006, , article écrit par Kamel Benaiche, El Watan et publié par Nedj


Loin des feux de la rampe, de nombreuses localités rurales des Hauts-Plateaux sétifiens semblent avoir été oubliées par tout le monde. Telle est la situation de Zraya, une bourgade composée de 8 mechtas et d’un habitat épars vivotant le moins qu’on puisse dire hors du temps.

Anonyme, confinée au creux des montagnes, Zraya, située à 14 km de Beïda Bordj, le chef-lieu de la commune, pas mieux loti, n’offre aux visiteurs que désolation et misère. Il faut arpenter la RN 64 puis la 66, escarpées et défectueuses en de nombreux endroits, pour atterrir dans l’un des plus pauvres patelins du pays. La localité, qui vit dans le dénuement total, attend des gouvernants les mesures adéquates pour qu’elle revienne à la vie. L’attente d’un lendemain meilleur perdure depuis une éternité. A Zraya, tout est contre l’homme. La vie des 17 000 âmes qui luttent contre l’isolement, l’oubli et où l’impitoyable quotidien est un perpétuel combat qui mérite à plus d’un titre la citation. « Ces douars qui ont payé le prix fort, lors de la guerre de libération et ayant durant les années de braise souffert seuls et en silence des exactions des hordes terroristes sont encore et toujours mis en quarantaine. On ne demande ni le statut ni les privilèges de la ville, mais uniquement le strict minimum qui nous fait, après 44 ans d’indépendance, toujours défaut », soulignait cheikh Ahmed, un sexagénaire pris en stop. En divulguant notre identité et l’objet de ce déplacement, le vieux a, avant de rejoindre sa maison à Ouled Si Lakhel (douar situé à mi-chemin entre Beïda Bordj et Zraya) émis un souhait : « J’espère qu’en lisant cet article ne pouvant contenir toute la détresse de cette partie de la wilaya laissée - pour - compte, des décades durant, les autorités locales et nationales prendront les mesures nécessaires. »

TANTÔT MANŒUVRE TANTÔT JARDINIER

Pour Kamel T. du douar Ouled Daikh, le temps s’est, en ces lieux, arrêté « Ici ou dans les autres hameaux, le temps est invariable, été comme hiver. Le rituel d’hier, d’aujourd’hui et de demain est une copie conforme », souligne ce jeune de 18 ans, hittiste depuis qu’il avait quitté le collège en 9e année. Ce jeune, qui rêve d’un métier, n’a en l’absence d’un employeur devant assurer son apprentissage pour l’heure aucun objectif, prend, à l’instar d’autres, son mal en patience. Pour meubler un calendrier vierge, Kamel est tantôt manœuvre - tantôt jardinier. Pour ne pas s’égarer d’autant qu’on visite pour la première fois ces coins reculés, on prend en autostop Djamel M., un enfant de 14 ans supposé être en 3e année moyenne et qui fréquente toujours l’école primaire (Mazouz Ahmed), située en pleine brousse. Notre accompagnateur, qui avait auparavant séché les premiers cours de la journée, nous invite à faire un saut à son établissement d’un temps révolu. Le toit de certaines salles de cours menace ruine. Les vétustes poêles à mazout, installés depuis 1974, date d’inauguration de l’école, ne sont plus fonctionnels. La structure implantée à proximité d’Ouled Si Lakhel est fréquentée par 390 élèves d’Ouled M’Barek, Ouled Silla et Ouled Labguega. Ces jeunes enfants sont obligés de parcourir entre 6 à 7 km à pied quotidiennement. Quand Oued Agafoul se déchaîne, l’école, dont la cour n’est pas bitumée et qui fait face à l’épineux problème de l’eau, est désertée. Les tables qui sont usées par le temps seront-elles un jour prochain remplacées par d’autres comme le souhaite le directeur qui profite de l’occasion pour soulever le problème de la sécurité des enfants livrés à eux-mêmes, une fois le cours terminé. Qu’il pleuve ou qu’il fasse chaud, ces enfants qui habitent à des kilomètres de l’école doivent « moisir » à l’extérieur de l’établissement. Afin de mettre ses élèves à l’abri de tout danger, le chef de l’établissement sollicite l’intervention du wali pour la réalisation d’une salle devant servir de permanence où les élèves pourront en outre s’abriter et préparer le cas échéant leurs leçons d’autant que la déperdition scolaire est élevée en ces lieux. « Lors du premier trimestre, douze enfants ont abandonné. L’incapacité des parents sans ressources, ne pouvant donc subvenir aux besoins d’une progéniture scolarisée, est la cause principale de l’échec et des abandons », souligne cet éducateur qui tenait à préciser que de nombreux élèves trouvent les pires difficultés pour s’offrir les fournitures scolaires. « Pour d’autres, les livres sont, dit-il, un luxe inaccessible ». Avant de prendre congé de l’espace, il est utile de mentionner que pour atteindre l’établissement précité, il faut se déplacer en 4X4, car la chaussée n’est ni plus ni moins qu’un champ de patates. On reprend le chemin de Zraya qui nous ouvre les bras 10 minutes plus tard. Il est par ailleurs utile de souligner que durant ce périple, le trafic routier s’inscrit aux abonnés absents. Les voitures et autres moyens de transport croisés se comptaient sur les doigts d’une seule main. En revanche, les marcheurs à pied notamment les enfants scolarisés étaient omniprésents.

DÉSOLATION TOTALE

Notre arrivée à Zraya n’est pas passée inaperçue, sachant qu’elle ne reçoit qu’à quelques rares occasions les « visiteurs » en quête de « voix ». « On ne se rend compte de notre existence qu’à l’orée des échéances électorales, puis c’est l’éclipse totale. » C’est par de tels propos qu’on est accosté par Djamel S., du douar Saâdna. Le centre-ville compte une seule voie, un café, un épicier qui vend à crédit, une annexe administrative et une agence postale, puis rien que des terrains vagues et rocheux ornant un paysage difficile et dur à la fois. Les ruelles où s’entassent ces habitants abandonnés à un triste sort sont en ce mois de janvier boueuses. La désolation est totale à Toughalalet, Saâdna, Torche, Chouafaâ, Ouled Hadjidjou, Ouled M’ssahel, Labgaga, Ouled El Khamess, Bakaâ et Abid. « Le chômage a en ces lieux battu tous les records. En matière de transport, nous souffrons le martyre. En hiver, le gaz butane est introuvable. Parfois, il faut débourser jusqu’à 500 DA l’unité », nous confient les gens d’Ouled Saâdna, un hameau au bout du monde. « Zraya et ses mechtas ont soif. Figurez-vous que l’eau ici est rationnée à 10 mn/j. Le vendredi, le jour de prière, c’est relâche », précise des citoyens, qui enfoncent le clou en disant : « En 2006, Zraya est, à cause du forfait du téléphone, coupée du monde. Même l’agence postale et le CEM en sont dépourvus. Alors que sous d’autres cieux, le portable et l’internet sont devenus de simples gadgets ». La misère et la pauvreté sont des compagnons fidèles qui s’accrochent à la majorité qui vit dans des « gourbis » de l’époque coloniale. Des citoyens, dont certains s’éclairent encore à la bougie, n’ont jamais vu la « lumière », un robinet, une télévision, un four, une cuisinière, un lave-linge... D’autres ne savent ni lire ni écrire. La vie se résume pour eux à de menus travaux : « 90% de la main-d’œuvre active du patelin composés essentiellement de maçons et manœuvres sont à Alger », souligne Youcef B., un enseignant. « Ici, les enfants ne réclament pas de l’argent de poche, mais un bout de pain. Plus de 80% des élèves scolarisés issus de familles vivotant dans la misère ne mangent pas à leur faim », rétorque notre interlocuteur qui nous dirige vers une des trois écoles de Zraya pour découvrir la souffrance de ces êtres. L’histoire de Yamna C. est bouleversante. Cette enfant de 10 ans, chétive et sous- alimentée, exprimait à travers un visage triste toute la détresse du monde. Le cas de cette élève du douar Toughlalte implanté au creux des Monts Agoughal illustre le désarroi d’une frange de la population : « Notre petit déjeuner est fait de zaâtar (thym sauvage). Le lait et les deux repas de la journée, on ne connaît pas. Ne pouvant supporter la misère, ma sœur s’est suicidée l’année dernière ». A l’instar de nombreux enfants, la fille sus-nommée portait en cet hiver des claquettes en plastique. Les gerçures aux pieds et aux mains nous crevaient les yeux : « Je viens à l’école pour manger », dit spontanément Youcef D., élève de 6e année. La route, le transport scolaire, le réseau d’assainissement des eaux usées à Zraya ou ailleurs sont un luxe pour les citoyens qui réclament en outre une meilleure couverture sanitaire. « Le centre de soins qui a été dernièrement inspecté par le wali fonctionne toujours à mi-temps », soulignent nos interlocuteurs. Pour constater de visu, on s’est déplacé au lieu précité. A notre grande surprise, le centre était, à midi, fermé. Cette situation n’a pas échappé à Djamel qui ironise : « A Zraya, on n’a pas le droit de tomber malade ni entre 12 et 14 h ni après les heures de travail... ». « Avec cette hogra qui ne dit pas son nom, on a l’impression qu’on est des citoyens de seconde zone », déclare un groupe de jeunes qui attendent un signe et des aides des pouvoirs publics. « On ne demande pas de grandes usines ou des unités de la PME et PMI, mais des subventions pour l’élevage, d’autant que la région se prête à ce genre d’activité agricole », enchaînent en guise de conclusion ces citoyens qui scrutent l’horizon... En attendant des jours meilleurs, agrémentés par un téléphone (ne serait-ce que le WLL), une assistance sociale, des structures culturelles et sportives, une maternité rurale, des moyens de transport et des petits projets générateurs d’emploi et de richesses, de l’eau pour étancher la soif, Zraya, où la misère a un jour tué une innocente créature, espère... sans plus !

Kamel Beniaiche


Kamel Benaiche, El Watan

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