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« Compagnons de Nedjma » de Sétif

L’Errant sur les planches du palais de la Culture Moufdi-Zakaria

samedi 29 juillet 2006, , article écrit par Le Jeune Indépendant et publié par La rédaction


Si l’on devait désigner la troupe théâtrale qui poursuit avec le plus d’abnégation le travail entrepris par Kateb Yacine sur le plan de la dramaturgie et de l’idéologie, ce serait, sans aucun doute, celle des « Compagnons de Nedjma » de Sétif.

L’Errant, une des pièces de théâtre les plus populaires de Bounab Abdelatif, plus connu sous le nom de Titif, a été présentée, le 26 juillet, au palais de la Culture Moufdi-Zakaria, à l’occasion du festival national du théâtre amateur de Baraki.

Dans un décor quasiment absent, comme se veut le théâtre katébien, quatre protagonistes et un musicien investissent la scène. La trame de la pièce tourne autour de cet errant, un naufragé rejeté par les ressacs de la mer, sur le rivage d’un village côtier.

L’intrigue est autant complexe que philosophique. Que devront faire les villageois ? Le rejeter à la mer ? L’enterrer ? Dans quel cimetière ? Y a-t-il droit ? Quelle religion avait-il épousée ? Comment prendre en compte tous ces paramètres ? Autant de questions sans réponses.

A travers toutes ces interrogations, l’auteur de la pièce semble poser la question lancinante de l’oppression endurée par le peuple algérien. Mieux encore, cette pièce pose le problème de la souffrance des peuples qui se sont soulevés contre l’oppression, en allant au-delà des seules difficultés spécifiques aux Algériens, pour prendre une dimension universelle.

C’est ainsi que la pièce met l’accent sur la surexploitation des travailleurs, les conditions de vie déplorables des femmes, les instruments d’oppression du pouvoir pour brimer le peuple, comme cette scène où est relatée la torture d’un poète pour avoir osé écrire et pour avoir eu le courage de s’exprimer.

Un courage qui l’a mené à la mort. « Comment est-il mort ? » demande l’un des protagonistes. « D’une mort suspecte », lui est-il répondu. « Le plus important, ce n’est pas de savoir comment il est mort, puisque de toutes les manières, on ne le saura jamais.

Le plus important, c’est de savoir comment il a vécu », rétorque un troisième personnage. Les grèves des travailleurs, les inégalités sociales, la division de la société en classes et les moyens de production accaparés arbitrairement par les capitalistes qui détiennent les rênes du pouvoir, pour préserver leurs intérêts financiers, la nouvelle ou l’ancienne Constitution, les lois venues d’on ne sait où et appliquées à une seule couche sociale, la plus marginalisée... sont autant de thèmes d’actualité abordés par la troupe les « Compagnons de Nedjma », dans une pièce écrite en 1989.

A bien regarder cette représentation, on ne peut s’empêcher de penser à la pièce En attendant Godot, de Samuel Beckett, au discours tenu par Pozzo et Lucky, à la portée philosophique et l’existentialisme de Jean-Paul Sartre ou, encore, à Alloula et à Kaki à travers le recours au meddah.

Ce qui atteste d’un grand travail de recherche. La pièce traite également de la question identitaire, tel que Kateb l’a abordé dans ses différents ouvrages. Quant aux accessoires, un seul a été utilisé : une valise frappée d’un dessin représentant la carte géographique du monde, ce qui n’est pas sans nous rappeler, la célèbre pièce de Kateb Yacine, Mohamed, prends ta valise.

Cette valise symbolisant le monde entier que des dictateurs veulent dominer. Une idée obsessionnelle qui continue de faire son chemin jusqu’à nos jours. Les « Compagnons de Nedjma » perpétuent les propos du défunt : « C’est le temps du théâtre, du grand public.

Maintenant, je pense que le théâtre peut aller à la rue, au stade... La culture, c’est qu’on laisse le théâtre sortir dans la rue ». Comme ce fut l’objectif de Si Amar, surnom de Kateb. Ce théâtre est d’essence populaire. Ce qui avait poussé « l’écrivain des travailleurs » à dire : « Nous avons joué pour eux (les travailleurs)... et avec de jeunes travailleurs, nous allons dans les centres professionnels, dans les lycées, dans les lieux où on peut rencontrer de jeunes travailleurs, des jeunes en général.

(...) Pour une troupe comme la nôtre et pour ce qu’on veut faire, il faut définir ce public, pas n’importe quel public ; c’est pour cela que nous ne voulons pas affronter ce qu’on appelle le grand public. » Pas de dénouement de l’histoire.

La pièce s’achève par son début. On revient au point de départ. Tel un monde qui tourne en rond. Une fin en boucle, ouverte, qui laisse place à toutes les interprétations possibles du public. K. H.


Le Jeune Indépendant

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