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Hommage au Chahid M’Hamed Bougara à Sétif

Les Ath Yâla revendiquent “un droit mémorial légitime”

samedi 10 juillet 2010, , article écrit par Ammar Djerrad et publié par La rédaction


Un des particularismes de l’Algérien en l’occurrence est de rester attaché à son pays, à son village, à la terre de ses ancêtres, quel que soit son lieu de naissance. Il s’agit d’une culture transmise, d’un élément essentiel dans le mode de vie ; même si l’adversité et les aléas de la vie le séparent de son origine quelle qu’en soit la durée.

S’il s’agit d’une figure historique ou culturelle, c’est la société ou les enfants de sa région qui le récupère, le remémore, assume son héritage. Il en est ainsi pour le chahid colonel M’hamed Bougara, de son vrai nom Ahmed ben Larbi Bougara (dit Si M’hamed), un des héros de notre guerre de Libération nationale en sa qualité de chef de la Wilaya IV de 1957 à 1959, dont la commune de Harbil des Ath Yâla — située à 70 km de Sétif — commémore le 5 juillet 2010 (à l’occasion de la fête de l’Indépendance et de la jeunesse) en érigeant une stèle pour rappeler à l’Histoire le combat héroïque pour la liberté et la dignité qu’incarne cette figure historique du mouvement national. Bien que n’étant pas né dans la région, la population y revendique “un droit mémorial légitime” au nom de cet esprit nationaliste laissé par ses ancêtres et en accord avec sa famille originaire de Tittest. Pour rappel, le chahid est né à Khemis-Miliana (Aïn Defla) en 1928. Troisième enfant d’une fratrie de 6, son père fonctionnaire des PTT avait été muté dans les années 1920 sans qu’il perde attache, comme de tradition, avec son village natal. Son parcours révolutionnaire est des plus riches. Il milite très jeune au PPA-MTLD.

À Alger, il suit une formation technique puis à la Zitouna de Tunis (en 1946). Il est responsable du groupe scout El Widad. Arrêté au lendemain du 8 mai 1945 puis relâché, il devient membre de l’Organisation secrète (OS) puis arrêté de nouveau en 1950. Libéré, trois ans après, il est interdit de séjour dans son département. Mais dès le 1er novembre 1954, il rejoint l’ALN puis entame l’organisation des maquis. Il participe le 20 août 1956 au congrès de la Soummam et est désigné commandant politique. Promu colonel, Si M’hamed organise la vie dans les maquis et les zones contrôlées par l’ALN (éducation, santé, propagande, aides aux familles des martyrs). La Wilaya IV — célèbre pour ses katibat Zoubeïria, El-Hamdania, Athmania, et les commandos Djamal et Ali Khodja — se distingue dans ses batailles à Bouzegza, Amrouna, Djebel Louh, Bab El- Bakouche… Le 5 mai 1959, Si M’hamed tombe au champ d’honneur, avec plusieurs moudjahidine après une rude bataille, à Ouled Bouaâchra, près de Médéa. On dit de lui un responsable ouvert, d’esprit démocratique et populaire. Il écrivait en 1958 à l’un de ses adjoints : “Enseignez et relâchez l’esprit de continuité et de sacrifice.” À ses djounoud — avec qui il opérait entre l’Ouarsenis, les monts de Blida, de Médéa, du Dahra et la région de Lakhdaria — il disait : “Face à un ennemi plus puissant, nous sommes appelés à définir dans notre lutte un type de guerre populaire pour lequel l’adversaire n’est pas préparé et notre arme absolue demeure l’organisation.” À cette occasion de l’inauguration de la stèle commémorative à la mémoire de ce chahid, des festivités sont prévues.
Au-delà du fait que ces festivités permettent de faire connaître la région des Ath Yâla par ses figures emblématiques, des hommes d’histoire, de science, de culte, des martyrs ainsi que les concours culinaires du terroir et autres manifestations sportives, il demeure un souci de préserver des valeurs, de rassembler les enfants de la région séparés par la nécessité et les aléas de la vie, mais surtout une profonde inquiétude quant à l’avenir de la région du point de vue développement. Ces cérémonies sont bien un clin d’œil, pour ne pas dire un cri de détresse, d’une population et de ses représentants à l’endroit des responsables-décideurs sur l’absolue nécessité d’intégrer de façon spécifique et attentive cette région — encore pauvre malgré les efforts de l’État pour mettre en place des structures diverses, mais sans un effort dans la qualité des prestations — dans les programmes de développement.
Lors des secondes journées culturelles organisées par les communes de Guenzet et de Harbil et l’association Ath Yâla qui avaient pour slogan “Science et développement”, il avait été souligné par les experts du Ceneap et du Cread la nécessité d’un plan Orsec pour les zones montagneuses du nord de Sétif. L’un d’eux disait avoir été “surpris par la qualité de la jeunesse et le dynamisme des localités”, mais aussi avoir constaté que cette jeunesse “souffre de marginalisation dans un environnement culturel pauvre”. Au sujet de Guenzet et Harbil, il avait été indiqué la gravité des indicateurs socioéconomiques, en particulier l’exode, la santé, le développement rural, la perte du potentiel agricole, l’érosion, l’environnement, l’hygiène, la sécurité, le foncier, l’absence de revenus réguliers, la carence de la communication et l’absence d’innovation. Alors que cette région renferme des potentialités qui n’attendent qu’à être exploitées — surtout au regard du savoir-faire de la paysannerie berbère — autour d’une demande située au niveau du développement rural, l’emploi, l’habitat, la formation, les routes, l’énergie, la culture et le sport. Les experts avaient ensuite disserté sur l’idée d’un développement de montagne réfléchi en avertissant que “le développement intégré d’une région ciblée repose sur la morphologie de celle-ci et l’exploitation de ses propres ressources naturelles” en donnant des exemples susceptibles d’engranger de substantielles valeurs ajoutées.
Lors d’une interview en 2008 du président de l’APC de Guenzet, M. Benadouda, et à la question que plusieurs villages sont en ruine et risquent de disparaître définitivement, il répondait (et cela est valable aussi pour Harbil) : “Il faut une intervention de l’État et un contrôle strict au niveau de la wilaya, la seule autorité pouvant prendre en charge le financement et éviter d’autres dégradations.” Et de poursuivre : “Il est inconcevable qu’un citoyen … d’ailleurs, pour pouvoir bénéficier d’une aide de l’APC, soit obligé de s’installer ici, alors que son village est sa deuxième demeure. Il faut l’encourager à venir et l’aider, car par sa présence, il contribue à l’essor économique de la région…” Au sujet de la défense de la nature, il avait annoncé un programme pour “la protection de la flore et de la faune, la préservation des forêts, l’eau, l’installation de décharges, de stations climatiques et d’aires de jeux et autres ; un grand travail reste à faire dans ce domaine”. Il est incontestable que les Ith Yâla avaient été au- devant dans la résistance et la lutte pour la libération du pays, contre l’outrage, l’oppression et la servitude.
Ils avaient choisi l’honneur et la dignité de l’Algérie. Ses nombreux martyrs et la destruction de villages entiers par les bombardements de l’armée coloniale étaient la preuve du lourd tribut qu’ils avaient payé. La région avait eu ses martyrs et moudjahids de renom, tels Chérif Debbih, Khelifa Boukhalfa, Mohamed Zekkal, Malika Gaïd (martyr à la fleur de l’âge), Hafri Rabah, Zouaoui Lahcen, Isaâd Abdelkader, Makhlouf Zenati, Maâchi Abdelmadjid, Medouni Mohand-Cherif, Bakhouche Rabah, Ouahil Nadjia et bien d’autres, morts ou vivants encore, qui resteront à jamais les glorieux témoins d’une région nationaliste sincère, solidaire et loyale qui pratique un islam vrai, c’est-à-dire tolérant, respectueux des droits et des consciences. Elle avait aussi fourni, à l’Algérie post-indépendance, un grand nombre de cadres à la nation. Cette région mérite bien, ainsi que ses enfants qui y demeurent encore tels des gardiens des valeurs, plus de considérations et d’attention avec au moins des offres de projets spécifiques en rapport avec la nature particulière propre de cette région, historique et toujours prompte et disponible à relever les défis.

Source : LIBERTE du 06/07/2010


Ammar Djerrad

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