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Une fièvre nommée « portable »

dimanche 23 octobre 2005, par Nedj


Bien que son prix reste relativement élevé, le cellulaire s’est intégré à la vie quotidienne avec des usages inédits. Symbole de modernité, il a fini par provoquer une fracture entre les utilisateurs et les autres.

Au bout d’une ficelle, dans son étui antipoussière, un Samsung, pend au coup de Fateh, 21 ans, vendeur à la sauvette sur le marché d’Andréolé. Grâce à lui ce jeune commerçant sait quand et où se déplacer pour acheter une marchandise dont la date de péremption n’est pas assurément lointaine, à moindre prix. Il ne risque plus d’être devancé par ces jeunes commerçants comme lui qui ont généralement un ou des indicateurs qui prennent une marge auprès des grossistes sur le nombre de clients qu’ils font venir et un pécule auprès de ceux auxquels ils offrent gracieusement ces opportunités. « Quant un grossiste décide de faire écouler une marchandise menacée de péremption, j’appelle dès que mon indicateur me confirme, mon associé pour qu’il se débrouille le maximum de fond possible pour avoir le monopole ou une partie de celui-ci.

Le téléphone portable me permet de contracter des affaires ». Les chaussures de Fateh ne sont pas de première jeunesse, mais son portable rutile. Au milieu d’un tas et hétéroclites étalages qui gênent dans tous les sens l’intense circulation, le combiné sans fil n’est plus une attraction, à quelques exceptions près, tous les serviteurs du marché parallèle en dispose, même les nettoyeurs qui s’y débarquent généralement avec la tombée du soleil. Il a fallu moins d’une décennie pour que le portable conquière dans la région des hauts plateaux et que les Sétifiens s’approprient à leur manière un instrument pas spécialement conçu pour eux. Mais qui se révèle comme une puissante alternative à l’indigence du téléphone fixe, au manque d’infrastructures, à la faculté des échanges, en même temps qu’une réponse, une nouvelle, aux besoins de convivialité, de santé et de sécurité. En quelques années, dans la wilaya de Sétif, l’équipement en portables est à 57% par an en moyenne entre 1998 et 2004 contre 39% dans bien d’autres importantes wilayas du pays.

A Sétif, le cellulaire est largement inscrit dans le paysage. Peu de carrefours sans une nuée de jeunes vendeurs d’appareils portables, de puces ou de cartes prépayées.

Peu de panneaux publicitaires n’affichent pas le bonheur radieux de téléphoner. Quant aux succursales des opérateurs, avec leurs vigiles, leur comptoir en faux marbre et leur air conditionné, elles font figure d’enclave de prospérité dans un univers qui se meut à la faveur du lancement simultané de plusieurs projets d’édification d’infrastructures et de superstructures de taille. Plus informels, les revendeurs de téléphone d’occasion « garantis » et d’accessoires « made in China » pullulent dans certains quartiers. Le portable à Sétif, aurait-il généré une nouvelle économie ? Une étude récemment orchestrée par un duo formé d’un économiste français et d’un chercheur sétifien le professeur Abbaoui Karim, attribue au portable un impact sur la croissance de la région quatre fois plus fort que celui du téléphone fixe.

Le plus vieux chauffeur de taxi de la ville et le plombier du plus dense quartier du chef-lieu de la wilaya ont, en tous cas, la même réponse : le portable a multiplié par quatre leur clientèle. Yacine, un jeune cordonnier de province et fils d’un pauvre cultivateur, dans une dechra isolée et enclavée dans une baie de montagne de la chaîne des Babors, ne possède pas de local et n’a pas d’électricité chez lui. Mais son portable lui rend mille et un services. Il n’allume son portable que pendant le temps strictement nécessaire à la lecture ou à l’envoi d’un SMS.

Avec 66 portables pour 100 habitants et une couverture très large, le marché sétifien est très loin de la saturation. Mais l’appareil a dépassé le cercle des privilégiés et son coût, relativement élevé par rapport au pouvoir d’achat, a généré d’innombrables stratégies d’adaptation et d’utilisation inédites. Etre appelé au lieu d’appeler est devenu un sport continental. On se « bipe » (simple sonnerie confirmant un message convenu à l’avance). On transmet du crédit à ses proches. Selon les conclusions de l’analyse près de 58% d’utilisateurs du portable le considèrent comme un élément de cohésion sociale. Le reste soit 42% voit une adaptation à la mode de vie. Cependant, une nouvelle fracture entre les heureux utilisateurs et les autres se creuserait. « Le portable correspond bien à la tradition d’oralité sétifienne, il a plutôt tendance à renforcer la socialité, mais il immerge malheureusement beaucoup d’incitateurs à la délinquance et à la perte des repaires sociaux », prévient Z.M, sociologue de la communication. Symbole de modernité et de prospérité, le petit boîtier téléphonique exerce une telle attraction chez les jeunes Sétifiens qu’il est devenu lui-même un enjeu d’échange, de chantage en même temps qu’un outil de délinquance.

Z. S. Loutari, Source : Quotidien d’Oran

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