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SETIF (2)

vendredi 1er octobre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


De Langare, je ne garde que ce douloureux et vague souvenir. Avec dépit. Une trace a échappé au temps, une photo avec mon vénéré père. La seule. Debout tous les deux, près de la maison qui me vit naître. Tout autour, la châaba, el Khla, oualou, nada, niente, rien. Autant dire le néant. Le vide sidéral. C’étaient les banlieues d’alors, où nous étions recalés tels des cancres. Nos mères n’en sortaient quasiment jamais. Nos pères si, pour aller dans les chantiers vendre leur force de travail. Pour un salaire de misère, payé à la quinzaine. De quoi reconduire le quotidien vécu à la force du poignet. Mon père habillé d’un semblant de costume sombre et coiffé d’une kachta enroulé autour du chef. Me tenant contre lui, les cheveux luisants au soleil, je portais de pied en cape un habit tout en blanc, avec une paire de sandales. C’était probablement l’été.

De Langare, nous déménageâmes à El Combatta, Les Combattants, quartier inséré dans la ville en une suite de villas qui appartenaient alors aux Roumis. Le must alors en matière d’habitat. Quant à nous, autochtones et indigènes, nous étions logés à la même enseigne que beaucoup d’autres Djazaïris, c’est-à-dire de façon sommaire. Vu les revenus d’alors, nous avions droit à une chambrée dans une grande maison dont le propriétaire, Kaddour passait avec un guide, du fait de sa cécité, pour réclamer son loyer. Gare aux retardataires car les menaces d’expulsion étaient à portée de parole. La sévérité n’était pas le moindre de ses caprices. Dieu lui pardonne.
La vie y était réglée de la façon la plus traditionnelle, les femmes à la maison -occupant le dedans- et les hommes vaquant aux affaires du dehors. Il y avait là, parmi nos voisins immédiats, Mohammed Lèqbaïli, appelé ainsi du fait de ses origines berbères, et sa femme Fatma. Elle ne revit son époux que quelques années après l’indépendance du pays si bien qu’elle vécut seule avec ses deux petits enfants. Et une anecdote ô combien douloureuse me revient à l’esprit. Je la revois assise près de la porte de sa piaule en train de me quémander un quelconque service lorsqu’un homme cria dès le seuil de la porte d’entrée principale, comme de coutume alors, Etrig pour libérer la route, et de s’engouffrer dans le long corridor de la maison collective où nous logions tous. Comme les femmes mariées ne devaient pas se laisser voir, elle ferma précipitamment sa porte alors que j’avais mes doigts posés sur la porte entrouverte si bien qu’elle se referma brutalement sur mes doigts. Je sautais au plafond de douleur ; mes doigts en furent ensanglantés. Je vous laisse imaginer les pleurs à chaudes larmes versés ce jour là du fait d’el hechma, la honte d’être vue par un autre homme.

Nous étions à l’aube de l’indépendance… Nous échouâmes donc dans une grande maison appelée alors hara. Composée de petites chambrées, elles firent à l’époque le bonheur du bâilleur qui les louait à des familles dont le dénuement se mesurait à l’œil nu. Guère d’espace. A l’entrée, plusieurs petites pièces sur une rangée bordée par un couloir d’à peine un mètre. Hygiène exécrable. Pour une dizaine de familles, parents et enfants, un cabinet de toilettes infect et infesté de souris de jour comme de nuit. Promiscuité imposée. Les gens ne pouvaient avoir quasiment pas d’intimité. Fenêtres minuscules. Certaines chambres avaient des murs aveugles, l’aération étant un luxe. Quatre murs et un sol en ciment. C’est à peine exagéré de qualifier ces chambres de cellules.

Au bout de ce couloir, sorte de tunnel non éclairé, une courette avec d’autres chambres en carré. Identiques dans leur conception que celles du couloir. En l’absence des maris, la petite cour servait aux femmes de lieu de rendez-vous où certaines d’entre-elles se retrouvaient pour deviser. Claustrées comme dans un harem. Que de fois, il m’arrivera de les découvrir en train de faire la chasse aux souris échappées de la petite pièce d’un mètre servant de salle d’eau dont la porte fermait mal. Heureusement, quasiment juste en face de notre hara il y avait un hammam… A même la cour, un semblant d’escaliers menait à l’unique étage où le propriétaire de céans dressait parfois ses quartiers lorsqu’il lui arrivait de visiter ses locataires, souvent pour les tancer à cause de loyers impayés. Avec force menaces.

(A suivre)


Ammar Koroghli

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