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SETIF (5)

mardi 12 octobre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


A El combatta. Autre souvenir. Autres douleurs. Le jour de la circoncision reste gravé dans la mémoire. Comme un DVD. Il se déroule avec son lot de peur enfantine. Nonobstant la famille réunie autour de moi. Je me rappelle que tôt le matin, on me prépara. Je fus surtout vêtu d’une gandoura immaculée de blancheur. Et sans doute d’une chéchia rouge pour me couvrir le chef. N’ayant qu’une vague idée de ce qui allait m’arriver, je sautillais de joie. Et pour cause, ce jour est sans doute le plus marquant chez tout jeune musulman en tant qu’il ouvre l’entrée dans la vie de la communauté des croyants. A un moment donné, on me fit rentrer à la maison noire de monde, les femmes en sortirent. Ne restèrent que les plus proches mâles dont mon père et le tahhar, littéralement ce qu’on pourrait appeler le circonciseur. C’était un homme à mi-vie à la face barrée d’une moustache et aux cheveux grisonnants recouverts d’une chéchia rouge. Il sortit son attirail dont l’essentiel était composé d’une paire de ciseaux dont j’allais mesurer l’efficacité. Il fut bref ; j’étais assis dans une gass’â, ustensile en bois rond, ma gandoura relevée, deux adultes me tenant d’un côté comme de l’autre car notre bonhomme m’enroula autour du zizi une rondelle en cuir pour lui faciliter la besogne.

Devinant enfin ce qui m’attendait, mes pleurs redoublèrent d’intensité. Pour me calmer, quelques billets de banque commencèrent à pleuvoir ; j’eus droit à une plaisanterie : Regarde le plafond, un oiseau va en sortir. Le temps de lever mes yeux, j’étais décalotté. Mes pleurs reprirent de plus belle, face à tous ces visages hilares qui me regardaient et ces mains qui m’inondèrent de pièces et de billets. Pas comme les autres, ce jour reste gravé dans la mémoire la plus profonde…

Nous habitions donc au quartier des Combattants. Par référence aux Moudjahiddines qui prirent les armes pour libérer le pays du joug colonial. Quartier de villas qu’occupaient les Français prospères dans leurs affaires. Enfants, nous pouvions alors les regarder danser sur des musiques typiquement occidentales. Assis sur les trottoirs d’en face, nous étions de parfaits spectateurs de ces fêtes baignant dans des éclats de musique et de rires. Surtout en été. Ce fut l’une des blessures qui restent béantes toute la vie. Nous étions alors la proie facile des récits qui nous étaient narrés pas nos parents, sans que nous eussions été en mesure de comprendre ces situations ; par exemple, celle qui faisait de nous des spectateurs de ces fêtes sans y avoir accès pour partager ces moments agréables de la vie avec les gaouris. Et pour cause, à l’école, on nous enseignait encore « Nos ancêtres les Gaulois ». Les Gaulois, nos ancêtres ? Hérésie, avec le recul du temps. Nous ne pouvions penser qu’il existait des différences avec eux car sinon pourquoi nous n’étions pas réunis ensemble lors de ces moments de joie ?

Proche de chez nous, hammam Si Rabah. Jeune enfant, je m’y rendais tantôt avec mon père, tantôt avec ma mère. Ce furent des moments autant de joie que d’appréhension. Car devant nos mères surtout, nous avions honte de nos corps nus. Et le soin de nous laver leur revenait. Déjà dans l’antichambre du hammam, elles nous déshabillaient pour nous emmitoufler dans des foutas bigarrées aux mille couleurs. A l’intérieur de la grande pièce chaude où collectivement nous nous lavions, ma mère usait de toutes ses forces pour me rendre propre comme un sou neuf. Mélangeant eau chaude et froide, elle débutait par mes cheveux pour ensuite astiquer mon corps qu’elle mettait à rude épreuve. C’est seulement après qu’elle s’occupait de ma sœur et d’elle-même, non sans m’avoir fait sortir pour me retrouver dans l’antichambre recouvert d’une autre fouta propre pour me sécher, tout en me reposant sur les frèches lits à même le sol en alfa, étendus tout au long de la salle rectangulaire, sirotant une gazouza pour me remettre de mes émotions. C’était un rituel quasi hebdomadaire, peu de famille ayant alors la douche ou une baignoire pour se laver…

(A suivre)


Ammar Koroghli

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