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SETIF (6)

samedi 16 octobre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Un jour, je ne fus plus admis à aller au hammam avec ma mère. C’était à l’occasion de l’Aïd, je devais me préparer à cette fête en commençant par me laver. Ce fut dans un autre hammam que le verdict tomba de la bouche de la patronne des lieux. Je faillis rester dans l’antichambre. La dame à la grande gueule vitupéra ma mère. Elle lui jura que ce sera la dernière fois qu’elle m’admettra dans son hammam. Comment pouvait-elle m’amener avec elle ? Pourquoi mon père ne devait-il pas s’en charger ? Pour elle, je devenais un grand garçon. Et elle n’avait sans doute pas tort. Je me souviens d’avoir ressenti une émotion jamais éprouvée auparavant à la vue d’une jeune femme en face de nous qui, dans la grande salle du hammam, se livrait à un naturel streap-tease pour pouvoir se laver. Plusieurs années après, il m’arrive de penser qu’elle était sans doute consciente de l’émoi qu’elle provoquait chez moi, quoiqu’elle mettait un soin particulier pour tenter de cacher les parties les plus charnues de son corps. J’en sortis avec un sentiment diffus, ne réalisant pas que je venais de vivre là un moment d’apprentissage de l’autre sexe. Ce fut ma première leçon administrée par une jeune femme qui était vraisemblablement au fait des choses de l’amour. Je fus ainsi mis devant les inconséquences des tabous cultivés par une société aux aguets. Le gamin que j’étais devait rester en dehors de toute influence féminine quant aux immixtions de nature sexuelle…

Autre apprentissage sérieux, l’école coranique. Si El Hadi, tel était le nom de notre taleb. Un jour, en effet, mon père décida de m’inscrire à son cours pour apprendre et la langue arabe et le saint Coran. El Madrasa, l’école, se trouvait dans un quartier situé perpendiculairement au nôtre ; juste à l’endroit où furent bâtis les bâtiments dits des Remparts que l’on baptisa Cheikh Al Aïfa du nom de l’un des Oulémas algériens. C’était une petite pièce où nous nous côtoyons, filles et garçons d’un âge préscolaire. Nous étions donc dans une école mixte. Il n’y avait alors aucune malice entre nous ; ce fut dans un pur esprit de camaraderie que nous avions cohabité ensemble. Dans l’ensemble, autant qu’il me souvienne, aucun incident ne fut à déplorer.

Ce que nous redoutions alors, c’était d’être appelé par le taleb pour lui réciter la sourate du jour ; nous n’étions admis à l’effacer pour en inscrire une autre grâce à l’aide de ses assistants, sur une louha avec du smagh, que lorsque nous étions en mesure de le faire le plus correctement possible. Celui qui était admis à effacer était sacré par nous champion de la journée, sur lequel nombre de regards envieux venaient se poser. Comme en classe, certains aimaient se faire tout petit en un coin de la pièce, loin du regard du taleb à qui il arrivait de somnoler, surtout les jours de grande chaleur au moment de la sieste de nos parents. C’était également un moment redoutable car lorsqu’il se réveillait par moments, il lui arrivait de nous secouer d’un coup sur la tête par le biais d’une longue canne en roseau. Le coup cinglant nous amenait à redoubler de récitation pour éviter le courroux du cheikh ainsi réveillé et auquel on avait confié des garnements en mal de vacances.

Houria, l’une de mes camarades, s’était alors entiché de moi ; c’était du moins ce que me fit comprendre Rachid, un autre de nos camarades avec qui il m’arrivait de faire le chemin pour rentrer à la maison. Il est vrai que qu’il nous arrivait alors de nous voir dehors, avant ou après l’école coranique ; mais nos discussions ne volaient pas plus haut que nos tailles. Nous étions des gamins, même si nos sens ne demandaient qu’à être éveillés. Sans plus… Un jour alors que nous étions de retour à la maison et sur l’insistance de Rachid, elle voulut procéder à quelques touchers inaccoutumés. Sous les rires moqueurs de celui-ci, devant cette soudaine hardiesse. Devait-on la blâmer pour sa jeune témérité ? Et comment pouvait-il en être autrement ; notre très jeune âge et notre apprentissage du Texte sacré étaient des raisons suffisantes pour nous dissuader d’entamer tous gestes équivoques…

(A suivre)


Ammar Koroghli

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