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SETIF (8)

mercredi 27 octobre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Pour l’heure, nous nous amusions. Nous nous querellions gentiment de temps à autre, ayant au fond conscience que la solidarité devait être de rigueur entre nous. Nous nous interrogions souvent sur nos conditions d’existence et le peu de cas que nous représentions pour nos gouvernants. Des discussions souvent passionnées avaient lieu avec les mots de tous les jours. Des mots simples pour tenter de percer les lourds secrets de la vie. L’été durant, nous nous voyions à notre quartier général, le cinéma Star, devenu depuis un centre commercial. La saugrenue décision ! Réduire la culture pour l’alimentation. Nous avons faim de cinéma, même si c’est le rêve qui nous était servi. Au moins, nous pouvions échapper aux mensonges qui nous étaient serinés par ceux là même qui se sont prévalu d’une légitimé historique pour nous voler nos destinées. Sans que nous ayons eu la moindre occasion, en quelque lieu que ce soit, pour exprimer nos doléances. Et, Dieu seul sait, que nous en avions. Surtout en qualité de candidats à la vie adulte dans un pays libéré des contingences coloniales.

Souvent chez nous, nous nous contentions de pain avec des oranges, voire de la kesra avec du gazouz. Nous n’en faisions aucun drame. Et pour cause, nous subissions notre sort. Privés d’expression dès notre prime jeunesse, nous allions mesurer davantage cette frustration. Il est vrai que lorsqu’on a peu conscience de son sort lié à la fois aux séquelles et des affres d’une guerre et à la politique menée en nos noms par des dirigeants, on se sent moins brimé ; nous en connaissions peu à l’époque, à part le mythique Ferhat Abbas et sa pharmacie pour les Staïfis. Il n’empêche que nous rigolions bien de nos petits malheurs. Qui se souciait alors de notre quête de savoir. Aucune bibliothèque pour nous accueillir l’été pour étancher cette soif. Nos parents étant hélas souvent illettrés, voire même analphabètes, nos consciences étaient livrées aux films spaghettis dont on se demandait toujours si le héros allait mourir à la fin et les films hindous dont nous nous régalions par les chants et danses. Quelle tristesse pourtant ! Quel gâchis à coup sûr !

Il est vrai que le pays sortait d’une guerre dévastatrice et en pleine reconstruction. Et, sans coup férir, des citoyens avisés et malins en diable avaient su investir les villas laissées vacantes. Bradées à des prix défiant toute concurrence, lorsqu’elles étaient payées ; elles changèrent de propriétaires, ces nouveaux indus s’empressèrent de se faire établir des actes notariés. Et d’adopter la mentalité des anciens colons par leur comportement. Je me rappelle que le fils de l’un d’eux sortait une banane à la main comme pour nous narguer. Et lorsqu’il daignait nous parler, c’était pour nous rappeler sentencieusement que son père -ou son oncle- était capitaine dans l’armée. A l’indépendance, ce grade valait son pesant d’influence. Revenue des frontières où elle se trouvait, notre glorieuse armée fut instrumentalisée pour servir alors de fer de lance à Ben Bella promu président de la République pour quelques mois. Pourtant, l’apolitisme devait être l’une des principales caractéristiques de l’armée, m’expliqua quelques années plus tard, Ameyar, l’un des voisins d’alors que je fus appelé à revoir à diverses occasions… Il était pour ainsi dire notre aîné en conscience.

(A suivre)


Ammar Koroghli

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