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SETIF (13)

jeudi 18 novembre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


L’école était notre refuge. Le seul. Malgré de vifs souvenirs. Ainsi, affleure à ma mémoire le dialogue surréaliste entre ma mère et mon institutrice du cours élémentaire d’alors, Madame Simone. Et l’hilarité générale de mes camarades de classe. Ma mère tentait d’expliquer à celle-ci son intrusion dans la salle de classe. En langue arabe. Face à mon institutrice passablement médusée, mais qui se comporta envers elle avec une gentillesse pédagogique. Elle l’écoutait en silence, opinant du chef. Tantôt sérieuse, tantôt amusée. Nous avions sous les yeux l’exemple typique de la communication incompréhensible du fait de la barrière des langues, chacune méconnaissant la langue de l’autre. Je n’oublierai cependant pas cette gentillesse extrême de Madame Simone envers ma mère. Parce que humaine et femme, elle comprit l’inquiétude de Dahbia l’Algérienne pour son fils. C’est ainsi que nous découvrions que les Français n’étaient pas tous les mêmes, certains étant plus proches de nos préoccupations et préféraient sans doute alors partager leurs vies avec nous, faisant de leur métier d’instituteurs un véritable sacerdoce.

Il est vrai que sévissait alors un climat séditieux. C’était le temps de l’OAS. Ma mère n’hésita pas à s’envelopper de la légendaire mlaya des femmes des Hauts plateaux sétifiens et courut à perdre le souffle pour arriver à l’école. Le bruit de l’explosion d’une bombe courut comme une traînée de poudre. Essoufflée, mais non décontenancée, ma mère voulait s’assurer que j’étais vivant. Courageuse mère qui, toute d’inconscience, n’écouta que son instinct maternel à tout rompre pour se lancer dehors -lieu quasi exclusivement masculin- pour l’amour de son fils. Ce courage ne devait plus se démentir plus tard durant les nombreuses et sombres années qu’elle vécut après l’indépendance en prenant d’assaut l’administration alors naissante afin de briguer la moindre parcelle de droit.

Après maintes explications ponctuées par des tentatives d’interprétariat de quelques camarades, Madame Simone finit par comprendre l’objet de la visite de ma mère et m’invita à repartir avec elle, sous les gentils quolibets de ceux-ci. Je ne sais à ce jour pourquoi je choisis de rester en classe. Sans doute la hechma, cette légendaire propension chez nous à adopter une attitude d’humilité mêlée de timidité. Ce, en dehors de l’insistance de ma mère. Il est vrai aussi qu’elle n’était pas la seule mère à avoir fait le déplacement. Les femmes aux mlayas étaient venues en nombre, inquiètes pour leur progéniture devant cet acte de terrorisme qui ne disait pas son nom. Une connivence solidaire les conduisit à la porte de la chkoula et les amena à faire bloc afin de pénétrer dans cette enceinte de l’instruction qui les séparait de leurs enfants. J’ignore à ce jour comment il leur a été permis de rentrer et de faire irruption dans les classes. Comme quoi, lorsque la volonté est là, des barrières peuvent tomber. Et non des moindres…

(A suivre)


Ammar Koroghli

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