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SETIF (24)

samedi 25 décembre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Par tempérament, Houria refusait de tout son être cet état de fait établi. Sujette aux brutalités de son père et de son frère, elle mettait sur le compte de l’ignorance et du mythe de la supériorité de l’homme leurs actions peu louables envers elle. Face au problème qui la menaçait d’une manière imminente, elle faisait preuve de courage envers l’étau mâle oppresseur. Elle était en âge de se marier, selon ses parents. Et surtout de commettre des actes difficilement réparables. Maintenant qu’elle n’allait plus à l’école, elle pouvait sortir plus souvent pour des prétextes les plus fallacieux. Profitant de l’absence de ses père et frère durant la journée, elle devait se voiler pour sortir ; parfois accompagnée de sa mère. Elle attendait le moment le plus propice pour aller voir son bien aimé. Lui parler quelques minutes au coin d’une rue déserte. Loin de la cité où les petits garçons la railleraient s’ils la surprenaient ainsi. A ses yeux, le voile était un moyen hypocrite pour masquer la réalité. Triste réalité où l’homme distille au compte-gouttes un climat artificiel de bonheur à la femme.

Tragique situation où elle se savait prise au piège. Itinéraire où le temps se faufilait sans briser la chaîne séculaire de la servitude. Bien que vivant dans un état de permanente révolte, elle rêvait à une nouvelle forme de vie. Parfois, harcelée par son destin au goût amer, elle s’abandonnait à l’inertie. Mais très vite, elle divorçait avec les rêveries, s’accrochant aux souvenirs. Lorsque, d’un air triomphant, son frère lui ordonna de ne plus sortir sous peine d’avoir affaire à lui, elle sentit la terre se dérober sous ses pieds. Son être vacillait. Sa tête tournait. Elle courut de toutes ses forces pour se réfugier dans les bras de sa mère. Même son petit frère s’était mis à la railler. Sa fierté féminine touchée, une envie irrésistible de bouder fut pour elle l’ultime secours…
Au fil des jours qui s’étalaient avec nonchalance dans l’espace restreint de son existence, Houria dut s’adapter à la nouvelle réalité venue secouer sa conscience d’adolescente. De quelque côté qu’elle regardait sa situation, elle ne réussissait qu’à se conformer à son obstination. Durement éprouvée dans ce que l’être humain a de plus précieux, sa liberté ; elle avait l’impression d’être un oiseau auquel on coupait les ailes prématurément avant de lui apprendre à s’en servir. Elle ne répugnait pas à vaquer au ménage de la maison, mais elle se sentait brimée dans toutes les fibres de sa chair. Du lever du soleil à son coucher, elle faisait travailler tous ses muscles et ses nerfs. Elle s’attristait de ce que ses frères, non contents de la voir enchaînée à la maison, pensaient que les travaux ménagers étaient du ressort exclusif et absolu de la femme. Pareilles sottises ne faisaient qu’exacerber son ignominieux destin.

Autrefois, elle se croyait hors d’atteinte de tout malheur. Elle était insouciante et espérait des lendemains radieux. S’apitoyer sur sa condition ne changeait rien à celle-ci, mais elle ressentait néanmoins une certaine délivrance. C’était pour elle comme si elle se déchargeait d’un fardeau que ses frêles épaules ne pouvaient plus soutenir. Elle se disait qu’à force de réfléchir, une solution pourrait bien jaillir. Houria savait qu’elle avait grandi. Son corps, qu’elle ignorait jusque là, s’était épanoui. Elle prit conscience de la magnificence de la nature en même temps que des manifestations physiologiques qui s’étaient opérées en elle. Loin de la consoler, cette merveilleuse transformation lui inspira une crainte indéfinissable…

(A suivre)


Ammar Koroghli

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