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SETIF (33)

jeudi 3 février 2011, par La rédaction

Pendant ce temps là, nous subissions la médiocrité de nos enseignants dont certains n’avaient visiblement cure de notre instruction, encore davantage de notre éducation ; rares parmi eux qui ont su éveiller notre intérêt pour les études. Il me souvient de certains d’entre eux qui s’attablaient littéralement sur le bureau et dictait la leçon du jour, sans autre forme de support efficace. Quasiment tous excellaient en revanche quant aux interrogations écrites. Le système des examens trimestriels, sous forme de compositions, ne tenaient même compte des notes obtenues en cours d’année dans ces fameuses interrogations de sorte qu’elles apparurent rapidement comme un moyen des enseignants non pas de tester véritablement nos connaissances mais de nous punir pour un chahut de certains de nos condisciples. Une punition collective pour écarts individuels. Il est vrai que certains excellaient dans cet exercice. Comment, dans ces conditions, pouvait-on espérer faire de nous des foudres de sciences et de lettres ? De la sixième à la terminale, il y eût cependant quelques enseignants qui, leur charisme aidant, nous permirent d’acquérir quelques rudiments de culture. Nous avions collectionné les lacunes, outre que les leçons et autres poésies apprises par cœur en vue d’une bonne note –à l’école primaire pour un bon point- furent oubliées au fur et à mesure que le temps passait. Il est vrai qu’au sortir de l’indépendance, il fallait tout reconstruire. Cette explication se suffit-elle à elle-même ? Certainement pas.

El Jarda. Le jardin de l’Emir Abdelkader. Anciennement jardin d’Orléans. Je m’y réfugiais pour fuir la chaleur accablante de l’été. Pour y lire tranquillement. Que de romans lus à l’ombre des arbres. Que de joutes oratoires avec certains de mes camarades de lycée. La fougue de l’adolescence, jeunesse immaculée. Immature et saine. Enthousiasmante. J’eus à réviser également mes cours pour le baccalauréat. De nombreuses journées à lire et relire. Rabâcher en fait. Nous avions peu d’ouvrages tant en philosophie que dans d’autres matières. Agréables moments tout de même, teintés d’angoisse. L’échec n’était pas permis. Je ne l’envisageais pas. Se couper ainsi du monde pour ses chères études. Un monde qui se gaussait de nous. Hormis les cours de dessin, point de culture au lycée. Ni films à projeter, ni conférences, ni de récitals poétiques. Que du rabâchage en vérité. L’espace d’El Jarda me donnait l’impression d’échapper à cette tentaculaire main mise sur nos consciences.

Entre allées, verdure et arbres. Quelques rangées de plantes, parfois de fleurs. De la simplicité. Le jardinier, père de l’un de mes camarades de classe, s’en chargeait avec amour. Quelle n’était sa colère lorsque l’un de nous prenait des libertés avec son jardin ! Gare à la réprimande à portée de langue. Souvent, c’était le calme. Propice à l’évasion. Quelques rares couples s’y aventuraient. Les quelques salles de cinéma alors existantes étaient pour ainsi dire interdites aux filles, ainsi qu’aux couples. Un monde machiste. La misogynie était la règle. La rue comme les espaces censés être publics étaient plutôt le royaume de l’homme. Particulièrement l’été. Les filles se réfugiaient alors dans les feuilletons égyptiens, parfois américains. Vivre mentalement et par procuration. Il était pourtant loisible d’organiser des activités permettant d’échapper à la morosité ambiante. Il faut croire que nous étions quantité négligeable pour nos dirigeants d’alors.

(A suivre)


Ammar Koroghli