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SETIF (38)

mardi 1er mars 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Interdit de sortir. Déjà l’hôpital représentait pour elle une incarcération. Une restriction importante à sa liberté de femme. La liberté, elle ne l’entrevoyait que dans son imagination. L’assimilant à mon père, pendant leurs jours heureux. Chose étrange à son esprit, elle passait par le même chemin abrupt que celui traversé par mon père. Chose plus étrange encore, la majorité des malades à l’hôpital appartenait à la classe des guellalines. Elle pensait que la société les acculait à l’hôpital. Purgatoire où ils avaient tout le temps de moisir. Manière comme une autre d’expier tous péchés.

Elevée dans des conditions pieuses, elle avait appris à connaître Allah et à L’adorer. Elle lui devait une sorte d’allégeance. Mais lorsqu’elle était au bord du désespoir, elle se demandait pourquoi Il ne venait pas à son secours. Lui qui peut tout. Lui nanti de l’omnipotence et de l’ubiquité. Que ne la délivrait-Il de la maladie qui la rongeait. Elle était l’une de ses fidèles sujettes. Sa sujétion était-elle insuffisante ? Parfois, elle surprenait une larme dans ses yeux. Elle s’empressait de l’effacer car elle redoutait d’être vue par ses compagnes d’infortune.

Un ghetto. Elle était dans un ghetto que les autres ne pouvaient comprendre. Certaines acceptaient les choses comme elles venaient à elles. Ne réalisaient pas qu’un changement de leur situation était nécessaire pour leur guérison. Pour elle, les heures s’écoulaient sans saveur. Autrefois, au temps des moissons, le temps s’étirait sereinement dans les champs. Sous le soleil. Le soir, aux dernières lueurs du crépuscule, les bergers ramenaient les troupeaux aux fermes. Les sons discordants mais doux qui s’échappaient des flûtes la plongeaient dans une hébétude proche de l’euphorie. La joie de vivre…

Elle moisissait sur son lit en se débattant dans les souvenirs qui assaillaient sa conscience incapable de réviser méthodiquement les divers épisodes de sa vie. Par instants, des frissons la secouaient comme un arbre desséché et dégarni. A d’autres moments, son visage s’éclairait d’une paix ineffable. Pareille à celle qu’engendre la mort. Elle se reposait alors, statue squelettique, en un sommeil profond et sans rêves. Comme si son encéphale dépérissait à petit feu. Ses nerfs ne lui obéissaient plus. Elle était souvent dans un état amorphe. Pareille à un être dépourvu de sens et dont l’intelligence s’amenuisait peu à peu. Elle pensait que ses tribulations s’inscrivaient dans le livre du destin universel. Ceci l’amenait à relativiser son malheur qu’elle subissait en silence. L’espoir aidant. Sa connaissance de la douleur ne l’empêchait pourtant pas d’en subir les méfaits. Elle en concluait que la nature n’était pas, comme se l’imaginaient certains, disciplinée. Telle une horloge.

Elle ne regrettait pas la vie puisque la mort devait arriver un jour ou l’autre. Ce qui l’attristait par dessus tout, c’était de laisser derrière elle la situation exécrable dans laquelle continuaient de vivre nombre de ses compagnes…Elle eut une mort atroce ; pendant plusieurs jours, elle voguait entre la lucidité et l’inconscience totale. Gémissant. Criant. Se déchirant les cheveux. Se labourant le visage avec les ongles…

Le trépas eut raison d’elle.

Ma Mère morte, je regagnai Alger.

(Fin de la 1ère Partie)


Ammar Koroghli

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