Accueil > Setif.info (1999-2021) > Culture > Exils : de Sétif à Paris > ALGER (9)
ALGER (9)
mercredi 20 avril 2011, par
Ma troisième année à l’Ecole se déroula dans les mêmes conditions matérielles et pédagogiques. Certains de nos enseignants étaient franchement de trop, ils venaient pour mettre du beurre sur les épinards. Leurs cours étaient insipides. Il arriva aussi que nous eûmes comme profs quelques membres du gouvernement, les uns étaient fort simples, d’autres plutôt prétentieux. J’eus une prise de bec avec l’un d’eux, je compris plus tard qu’il ne fallait pas remettre en cause leurs dires. Un léger mieux fut ressenti pour nous, ma soeur et mon frère, car en quatrième année nous avions droit à une bourse plus importante que pour les années précédentes. Nous eûmes ainsi droit à une vie moins indigente. Alger découvrait alors ses charmes. A la fin des examens et l’annonce des résultats, la Direction de l’Ecole nous réunit pour nous annoncer que chacun de nous avait droit à un voyage à l’étranger, un billet d’avion aller-retour avec un pécule nous ayant été remis. Avec deux autres camarades de promotion, nous préférâmes la Suisse.
Choisir la Suisse, quelle idée ! Nous savions peu alors qu’elle était un paradis fiscal pour riches. Nous, nous étions issus d’un pays du tiers-monde et avions émis le vœu de visiter ce pays. Un pays de cartes postales pour nous. Nous étions trois. Le voyage nous était offert à la fin de nos quatre années d’études par l’Ecole, la prestigieuse ENA. En récompense de nos efforts. Voyage largement mérité en fait. Mais nous choisîmes par hasard sur les pays proposés lorsque vint notre tour de choix. La Tunisie ou le Maroc aurait été sans doute plus bénéfique. Tout guillerets, nous nous préparâmes pour le jour j.
A l’aéroport d’Alger fraîchement baptisé Houari Boumediene suite à son décès, nous languissions d’impatience pour fouler le sol de ce pays alors mythique pour nous. Certains de nos négociateurs pour l’indépendance n’y avaient-ils pas séjourné ? Ainsi d’ailleurs que d’autres personnages illustres parmi les Algériens que l’on continue d’appeler « historiques ». Confiants, nous l’étions. Trop même. Loin de nous douter de ce qui allait nous arriver. Nous espérions assouvir quelque peu notre soif de voir de près ce pays réputé être propre. Nous n’en franchîmes même pas le seuil de l’aéroport. Dès notre descente d’avion, nous fîmes la queue, la chaîne comme on dit en bon Algérien. Après présentation de nos passeports, l’agent douanier nous demanda de nous mettre de côté, ainsi que deux autres personnes d’apparence arabe au faciès.
J’eus la désagréable surprise d’observer que beaucoup de passagers d’apparence européenne passaient sans difficulté aucune. J’eus l’appréhension de nous voir, non pas refoulés, mais interrogés. Nous nous disions qu’après explications, nous pourrions sortir ; après tout, nous avions un pécule pour notre séjour de quelques jours. Et nous étions fraîchement sortis de la plus prestigieuse école de notre pays. Peine perdue. Aucun de ces arguments à nos yeux essentiels n’émut le préposé aux douanes. Il nous signifia que nous ne pouvions entrer dans son auguste pays. Dès demain, nous pourrions regagner notre chère patrie. Nous étions refoulés. Et nous passâmes la nuit dans l’aéroport, nos passeports confisqués comme il se doit. Avec nos compagnons d’infortune, nous nous contentâmes d’un sandwich. Nous eûmes l’idée d’appeler notre consulat. En vain. Notre cher consul d’alors ne daigna ni se déplacer, ni dépêcher quelqu’un pour nous écouter et défendre notre cause. Nous réalisâmes, à notre grand regret, que nous étions peu de choses venant d’Algérie. Y compris pour nos représentants. Nous n’étions pas des citoyens au dessus de tout soupçon.
(A suivre)
Ammar Koroghli