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ALGER (22)

lundi 18 juillet 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Il fallait encore et toujours chasser le pessimisme qui commençait à me gagner ; les problèmes du chômage endémique qui touchait des milliers de jeunes et de la cherté de la vie n’étaient pas pour rassurer. Aussi, je pensais que chacun devait cultiver son jardin et l’arroser du mieux qu’il pouvait. Les idées reçues au cours de mon enfance et de mon adolescence avaient secrété des espoirs déçus ; ma vie d’adulte m’avait appris que le changement de vie n’était pas pour demain...

L’heure avancée de la journée n’empêchait pas l’affluence de la foule en cette chaude journée. Certains étudiants se mettaient à boire à même le goulot de la bouteille. Dans mon esprit en proie à l’euphorie, je me remémorais ma conversation avec la doctoresse de l’hôpital au sujet de ma mère :

- Cirrhose de foie, c’est impardonnable, Monsieur. Non, ce n’est pas incompatible avec l’ictère. Son organisme est très affaibli. Elle doit suivre un régime très strict, celui que je lui ai prescrit.

- Est-ce vraiment très grave ?

- Absolument. Elle ne pourra jamais retrouver son équilibre initial. Elle pourra survivre cahin caha ».

Hélas, elle ne survécut pas.

La disparition de ma mère me plongea dans un abîme sans fond. D’un trait, je vidais le contenu de mon verre en songeant que depuis ce jour ma vie était devenue une prison sans barreaux. Calvaires étaient les souvenirs que ma mémoire enveloppait en son sein. Au-delà de mes rêves et des réalités, je me surprenais à penser en mon for intérieur ; comment concrétiser la liberté de s’exprimer sur les carences de son existence. Je vidais alors ma dépression dans la boisson. La vie estudiantine n’offrait guère mieux. Le désert culturel avait gagné même la capitale. Les mots trébuchaient sur mes lèvres. Je m’enlisais dans les ténèbres de mes idées afin d’éclairer les questions qui encombraient mon esprit oppressé par les iniquités. La monotonie creusait un abîme d’ennui dans ma tête. Parfois, du fond de ma conscience jaillissait une étincelle d’espoir. Elle me permettait de m’évader du quotidien…

La tête bourdonnante et les yeux mi-clos, je revoyais une chaumière construite à la chaux dressant altièrement sa cheminée d’où émanaient les spirales d’une longue fumée. Les tuiles de cette demeure étaient décrépites par les intempéries. Ses murs, taillés par les années et solidement bâtis, résistaient aux coups de la faucille du temps. La chaumière en question abrita longtemps mes parents, j’y passais une partie de mon enfance, dans le douar natal de ma mère. Cette enfance renfermait un mystère que je me devais de dénouer : qu’était-ce que cette pauvreté à laquelle j’avais été assujetti avec mes parents ? Je me rendais compte au fur et à mesure que le temps passait que la vie était un phénomène complexe. Je me revoyais les nuits où je révisais mes leçons et faisais mes devoirs à la lueur vacillante des bougies. Le matin, les yeux cernés de violet par les longues veilles en bas âge et les privations quotidiennes, je me dirigeais vers l’école du village où j’habitais depuis ma naissance.

(A suivre)


Ammar Koroghli

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