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PARIS (7)

samedi 13 août 2011, par La rédaction

Je résolus de transformer mon angoisse naissante en énergie. Potentiellement, elle l’était. J’avais changé de bout en bout de tactique, en choisissant l’offensive plutôt que le repli. Subversif et non être à la recherche de ma subsistance. Mon nouveau credo : le sérieux, l’organisation, la répartition des tâches et la programmation des échéances à respecter par tout un chacun. Je pris la peine de mettre de côté ma révolte. Une pulsion d’écorché vif. Ne plus perpétuer une dette que je devrais à Moh et Ali. Vint le succès avec l’amélioration du contenu de la revue, esthétique compris. Les chapeaux s’inclinèrent. Pas pour longtemps. Désormais, mes gestes étaient épiés, mes paroles traduites devant le tribunal de l’exégèse. Articles, photos, titres et maquette et tout ce qui s’ensuivait fut de mon ressort. En réunion hebdomadaire, j’informais les autres membres de la rédaction. En réponse, ils se liguèrent contre moi. Les vives qualités intellectuelles que chacun me prêtait furent remplacées par un sentiment proche de la haine. Je devins un gêneur. L’homme à abattre. Après avoir été l’homme de la situation.
En bon philosophe, imbu de modestie et de rectitude morale, je cultivais la dérision à l’égard des uns et des autres. Avec la répartie foudroyante et l’humour à toute épreuve, j’étais bien parti. Pas pour longtemps. Je ne pus résister outre mes forces. Les revers de fortune me meurtrirent. Les compromis m’affectèrent. Je pansais mes plaies et je tenais au secret mes cicatrices. J’éprouvais cependant un boulimique appétit de travailler juste, vite et bien.

J’ai toujours considéré comme inadmissible l’attitude de ceux qui ont contribué à instituer des principes à être les plus prompts à les fouler aux pieds. Alors qu’on en exigeait le respect par les autres collaborateurs : rédacteurs, pigistes et traducteurs. Maintes fois, les membres du comité de rédaction remettaient leurs papiers à des dates impossibles. Car les lire, les composer, les corriger et les mettre en page excluait les retards impardonnables. La déontologie la plus élémentaire recommandait d’avertir à l’avance des défaillances. Tel ne fut quasiment jamais le cas, malgré mes avertissements réitérés. Plus que cela. L’opportunité des articles et leur conformité à la ligne générale défendue par la revue me furent disputées par mes détracteurs alors que j’étais censé représenter le comité durant les intervalles séparant leurs réunions. Cela posait sérieusement le problème de la direction collégiale, principe des plus justes s’il en fut.
Dur apprentissage de la démocratie. En exil. Dans la gueule du loup, dirait Kateb Yacine. Le penchant de tout un chacun pour l’hégémonie prit le dessus. Chez Ali, cela crevait les yeux tant il en fit sa nature première. Ce fut le début de la fin. Tacitement reconduite. Tout au long des semaines, la guerre froide occupa le devant de la scène. La déliquescence pointait à l’horizon. Les mouches du coche de la démocratie étaient nées. Chacun d’eux s’évertuait à vouloir juguler son travail. A le phagocyter.
Flatter « le zaïm ». Tel fut leur mot d’ordre. Leur priorité première. Le chef devait être comblé de flagorneries. L’exercice de la responsabilité, avec la confiance des autres, n’était plus de mise pour moi. Une autre aberration vint s’ajouter au calepin de ces apprentis dictateurs. Je fus interdit de plume ! Un blocage systématique de mes articles jugés trop « théoriques ». Leurs papiers à eux ? Des tables de Moïse à mettre sur nos tables de chevet et à psalmodier. La dilution des responsabilités tant décriée frappait à la porte pour y faire irruption. D’une manière fracassante.
Pour moi, seule comptait l’efficacité du travail accompli. En dehors des joutes oratoires auxquelles ils se livraient et des rixes fractionnelles que les uns et les autres semblaient tant affectionner. Un avant goût d’amertume naquit en moi. J’étais entre l’abîme et le réel. Le début de la fin assurément. Il ne leur suffisait plus de taper sur les amis d’hier. Il leur fallait durer par la permanence d’une hypocrisie, celle là même qui fut reprochée aux « éléphants » de l’ancienne direction et dont Khalfoun était le maillon faible. Vaincre cette vieille génération inculte et habituée aux intimidations ou à la récupération des jeunes loups pressés. La carotte ou le bâton. Leur silence et leurs mines affectées renfermaient le mensonge et la ruse. Faire basculer la gérontocratie pour s’installer dans ses habitudes. Tel fut leur nouveau mode de gestion. Petit à petit, vaincu par mes principes, je résolus alors de m’effacer définitivement. Jusqu’au jour de l’effondrement de notre canard. Ils le voulaient. Ils l’ont eu. Pour le maintenir en vie, ils appelèrent à son chevet une rescousse d’amis. L’agonie était malheureusement proche…

Comme le dit si bien le proverbe Ne restent dans l’oued que ses galets… C’est d’autant plus vrai en terre d’exil.

(à suivre)


Amar Koroghli