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Louziaa, une tradition qui survit dans nos villages

dimanche 31 juillet 2011, , article écrit par Rachid Sebbah et publié par La rédaction


Louzia est l’une des traditions qui survivent encore au village Lemroudj de Draa Kébila. Elle peut se définir comme étant une manifestation de solidarité permettant de renforcer les liens d’unité entre les membres de la communauté et à procurer des moments de joie aux jeunes, eux-mêmes appelés à la perpétuer.

L’avant dernière manifestation de ce genre remonte au 29 mars 2007, date qui a coïncidé avec la célébration de la naissance du Prophète Mohamed (que le Salut de Dieu soit sur lui). Ce jour là, jeunes et vieux se sont rassemblés sur la prairie située au milieu de la localité et ont immolé trois bœufs achetés par le comité du village (Thajmaath) avec l’argent versé par les chefs de familles. Aux yeux de tous, l’évènement est important, d’autant plus que la précédente manifestation de ce genre remonte à environ dix sept ans. Donc, les jeunes de moins de 20 ans ne savent pas ce que c’est ; il la découvre pour la première fois.

Tous les habitants du village savaient que le 29 mars 2007 serait un jour de fête et, par conséquent, de bonne heure, ils se sont rassemblés sur la prairie tant pour contribuer activement aux travaux de préparation que pour contempler les gestes et mouvements de chacun tout en exprimant leur joie.

Très tôt le matin, la foule ne cessait de s’amplifier ; les hommes chargés d’immoler les trois bœufs ont ramenés ces derniers attachés par des cordes pour donner l’occasion à l’assistance de les contempler pour la dernière fois.

Pendant qu’ils s’attelaient à les immoler puis à leur enlever la peau et à couper la viande en morceaux, vieux et jeunes se racontaient de vieilles histoires ayant ou non une relation avec la manifestation.

Après que la viande ait été coupée en morceaux, elle est répartie en parts égales de sorte à ce que chaque foyer en reçoive une. La viande est déposée sur un tapis de branchettes d’un arbuste appelé ici « Thilouguith », dont les propriétés médicinales sont connues de tous ; il est très répandu dans la région.

Une fois toutes les parts prêtes, l’Imam du village, entourées de tous les participants, prononce la « Fatiha », sourate du Saint Coran, avant que le principal responsable de Thajmaath n’appelle les bénéficiaires et ne les invite à prendre chacun la part qui lui revient.

Après épuisement des parts de viande, il ne reste qu’à se séparer en se donnant rendez-vous pour la prochaine occasion ; car Louziaa n’est pas une manifestation liée à un événement précis ou à un jour de l’année préalablement défini. Elle peut avoir lieu à d’autres occasions telles que Laid Améziane (fête religieuse qui suit immédiatement le mois du Ramadhan – le jeûne), au lancement des travaux de construction d’une mosquée ou de la fin des travaux de cette dernière, etc.

A préciser que les têtes des trois bœufs immolés ont été mises à prix aux enchères ; occasion pour tous de rigoler un peu et de se faire des souvenirs inoubliables.

A ce sujet, une fois, lors de Louziaa, une vieille dame avait demandé à son mari de lui ramener la tête du bœuf immolé et ce, quel que soit le prix. Mais de peur que son époux n’accède pas à son vœu, elle prend la précaution de demander la même chose à Dahmane, un de ses proches.

Au moment des enchères, au départ, il y avait plusieurs personnes intéressées par l’acquisition des ces têtes. Mais au fur et à mesure que le prix grimpait, les prétendants se retiraient un par un ; sont restés deux concurrents, le mari et le proche de la vieille dame. Ils avaient continué à faire de la surenchère pendant un bon moment avant que le mari n’abdique.

Le soir, en rentrant chez lui, Da Slimane, époux de la vieille dame nommé Aadada, fût étonné de voir une tête de boeuf chez lui et demanda alors à sa femme d’où provient-elle ? Elle lui avait répondu que c’était Dahmane qui l’avait ramenée à sa demande. En raison de sa grande sagesse, au lieu de s’en prendre à son épouse, Da Slimane éclata de rire et il s’est toujours souvenu de cette merveilleuse scène.

Ainsi, Louziaa renforce les liens entre les membres de la communauté notamment en perpétuant l’esprit de solidarité. Aux yeux des gens du village, ce n’est pas la part de viande qui est importante mais la joie de se retrouver tous ensemble. A cette occasion du mouloud du 29 mars 2007, beaucoup de personnes vivant hors du village ont été rencontrées ; certaines d’entre elles ne sont pas revenues depuis longtemps ; d’ailleurs, Nordine, un cousin établi en France, est venu spécialement y assister.

A noter que Thajmaath est le comité composé de sages du village, dûment mandatés pour gérer les affaires communes telles que Louziaa, la construction et l’entretien de la mosquée, la réfection des fontaines et des routes, la distribution de l’aide aux familles nécessiteuses, etc. Les personnes qui le composent veillent à la stabilité au sein de la communauté villageoise et participent à la résolution de conflits qui peuvent surgir de temps à autres.

Le comité du village Lemroudj a réédité Louziaa le 19 mars 2008, à l’occasion de la célébration de la naissance du Prophète Mohamed (que le Salut de Dieu soit sur lui).
Comme en 2007, pour les habitants du village, ce fût l’occasion de se rassembler et de manifester leur joie, de se raconter des histoires et de faire remonter à la surface les traditions et rites qui tendent à se faire oublier.


Rachid Sebbah

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