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PARIS (11)

dimanche 28 août 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Quelques jours plus tard, j’appris par le même journal la suite de l’aventure de Yasmina B. Dans une lettre à la rédaction, elle disait en substance ceci : Mon ami est en prison. Toute relation sexuelle étant interdite pendant les visites dans les parloirs, nous étouffions nos émois. Sa main dans la mienne pendant une demi heure. Joie indicible. Juste un sourire et un baiser. D’étreinte, point. Combien de semaines d’abstinence. Quand on s’aime, c’est difficile à supporter. Le sida ? Un risque certes, Mais aussi un épouvantail. L’administration pénitentiaire fantasme. Vivre de l’autre côté du mur, c’est difficile. Pour le comprendre, il faut faire l’opération inverse : les taulards à la place des surveillants et vice versa. On rirait bien. Devant tant d’ineptie, seules les larmes. Que voulez-vous ? Mon ami Ali en prison et moi sans travail. Que faire ? Nous avions décidé pourtant d’avoir un bébé. Histoire de nous souder davantage. Nous nous étions ravisés lorsque Ali tomba pour recel. Bêtement. Il me conjura de le garder. Après plusieurs mois, il était toujours prévenu. Sans jugement. Quelle serait sa peine ? On n’en avait aucune idée. Un avocat commis d’office. Vous pensez si cela le touchait. Quand je suis allée le voir à son cabinet, il me reçut quelques minutes. Le temps de m’écouter poliment. De me dire que tout se passerait bien… Il me fallut choisir : continuer ma grossesse ou avorter. Dans les deux cas, une couverture sociale était nécessaire. Alors, autant opter pour la première solution. Surtout qu’Ali et moi nous le, désirions ce bébé depuis au moins trois ans…

La vie était bête. Paris, belle ville ; inhospitalière pour l’étranger. Pas d’oasis possible. En mal de nostalgie de l’oued, il m’arrivait de regarder la Seine du haut du pont en tirant la dernière bouffée de ma cigarette. La civilisation serait-elle une sottise technologique ? Une pilule empoisonnée assurément. Paris me semblait beau le soir, à la tombée de la nuit. Les lumières des villes m’avaient de tout temps fasciné. J’étais mystérieusement ébloui par ces faisceaux qui narguaient la nuit, bouleversant le mode de vie des noctambules. Ces poètes qui érigeaient l’obscurité en muse et dont les vers illuminaient la solitude. Le silence y était cependant pesant, malgré l’écho lointain des orchestres de fin de semaine… Sous mes pieds, la Seine devint trouble, embuée par de récents souvenirs…

Je me rappelais ce douanier plus affable que d’habitude. S’aventurant même à sourire. Parlant avec une certaine chaleur. Se perdant en salamalecs. Ses yeux, d’ordinaire inquisiteurs, laissaient percer une nuance de tendresse. Presque. Ses gestes aussi semblaient plus doux. Il ne déversait plus de bagages sur le tapis roulant en invectivant leurs propriétaires…Pourquoi ce changement d’attitude ? Il y avait sans doute un rapport avec la crise dont tout le monde parlait. En écoutant le bulletin d’informations, le matin de mon départ comme à l’accoutumée, j’avais appris par un bref flash de Radio Alger que des accrochages entre éléments armés et forces de sécurité avaient commencé. Cette tragédie allait-elle s’ajouter aux problèmes les plus graves que le pays affrontait déjà : démographie galopante, agriculture ruinée, industrialisation ratée, habitat précaire, santé et transport négligés… ?

(à suivre)


Ammar Koroghli

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