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Nous étions lycéens (Partie 11)

dimanche 20 octobre 2013, , article écrit par Toufik Gasmi et publié par La rédaction


AU DORTOIR

Après ces repas, pour nous gargantuesques, le sommeil nous appelait .Nous suivions notre maitre en file indienne jusqu’au dortoir .La porte s’ouvrit et nous découvrîmes, ébahis, des lits superposés, des descentes de lit, des draps et couvertures brodés aux lettres Lycée Eugène Albertini. Du jamais vu ! On se croirait dans un hôtel 5 étoiles.

Tout de suite, dans notre imagination, il y eut une comparaison expresse : la paillasse à même le sol sur laquelle nous dormions frères et sœurs, l’un à coté de l’autre, serrés et couverts jusqu’à la tête du fameux ‘’hambel’’ dans la maison familiale et… le lit superposé, avec un matelas, une taie d’oreiller, une couverture et une descente de lit pour chacun. Quel bonheur !
En une minute, nous avons filmé le dortoir avec ses lavabos, ses douches, ses toilettes et même la couleur des murs.

Inconsciemment, nous pensions aux copains restés là haut ou là bas et qui ne peuvent nous rejoindre, faute de moyens financiers. Décidemment, nous avons beaucoup de chance.
En fixant ses installations, des images défilent spontanément devant nos yeux : nous nous voyions, les uns, dans la cour de la maison familiale, utilisant l’eau de la fontaine commune, par tous les temps, la serviette autour du cou, les autres barbotant dans un baquet en fer façonné par le père à partir d’un fut de lubrifiant récupéré auprès d’une station service ; et d’autres encore, peut être, les plus nantis se rendent au hammam, une fois par semaine.
Le lycée va nous transformer et la transformation ne tarda pas : de l’eau chaude, une cabine de douche personnelle, un lavabo individuel et des sanitaires, voilà notre lot de satisfaction : et il doit y en avoir d’autres, comme par exemple, se mettre en pyjama et se laver les dents avec du dentifrice avant d’aller se coucher.

A nous de les découvrir.

Nous avons omis de faire une translation entre la lumière blafarde que dégageait notre quinquet familial qui nous fatiguait les yeux, lorsque nous étions assis sur une natte autour de la meida faisant nos devoirs et… les néons de la salle qui nous éclairaient, juste en appuyant sur un bouton.
Nous avons aussi des casiers qui ferment à clé pour nos effets vestimentaires et une chausserie à l’entrée. Nous enregistrons au fond de nous toutes ces découvertes pour les raconter à qui veut bien nous entendre, dans le village, dés les prochaines vacances.

L’adjoint d’éducation, en bon pédagogue, nous expliqua le fonctionnement de l’internat avant de remettre à chacun, un exemplaire du règlement intérieur qu’il fallait lire et surtout retenir le contenu. Nous l’écoutions en silence tout en regardant autour de nous. La leçon fut vite apprise ; il fallait donc suivre à la lettre les premières recommandations en attendant surement d’autres, elles seront données par d’autres surveillants et à chacun sa méthode de communication.
C’est notre apprentissage de la vie en communauté. Nous sommes emportés par ce sentiment mêlé à la fois de plaisir et d’inquiétude et on ne sait pourquoi, au fond de nous, nous étions heureux.
La toute première leçon consiste à enlever chaussettes et chaussures avant d’entrer dans les dortoirs et à se mettre en pantoufle. Quelle aubaine pour nombre d’élèves, eux qui n’ont jamais porté ce genre de chaussure.
La seconde, c’est de respecter les consignes relatives aux horaires du lever et du coucher et aux règles de fonctionnement. Celles là, elles sont vite retenues, d’ailleurs c’est le premier article du règlement intérieur du lycée.
Ainsi, le lever est fixé à 6h30, suivi de la toilette obligatoire en pyjama, le petit déjeuner n’est pris au réfectoire qu’à la condition de faire son lit et de ranger ses affaires, le maitre d’internat veille. Cette habitude acquise, nous sert aujourd’hui même dans nos foyers… à la satisfaction de nos femmes bien évidemment.
Quelquefois, il nous arrive de jouer au maitre d’internat, à la maison, en faisant une petite remarque à nos charmantes épouses, lorsque le lit est mal fait : même dans notre vie familiale, le lycée marque sa présence.
Souvent le surveillant de service commençât à patrouiller dans le dortoir à la lueur des veilleuses ,passant et repassant entre les rangées de lit, en reniflant les effluves de toilette d’eau de Cologne dont beaucoup semblaient s’être aspergés pour conclure leur toilette. Puis petit à petit, les respirations devinrent calmes, paisibles et quelques ronflements commencèrent à se faire entendre.
Souvenons-nous des soirées où le sommeil tardait à venir malgré l’extinction des feux. Nous entendions au fond de la salle des rires époustouflants qui n’empêchaient surement pas la secte des ronfleurs d’entamer leur ‘’ mélodie’’ nocturne ; des messes à voix basse entre copains contrastaient avec ces rires.
Dans un coin, certains, accrocs des jeux, réunis à même le sol, se disputaient une partie de belotte ou de poker sous la lumière d’une lampe de poche ; il leur était très difficile de garder le silence .Très souvent on entendait le pion -comme on aimait à le prononcer-, de sa chambre, vociférer des mots incompréhensibles mais qui voulaient surement dire laissez moi dormir.
Plus pénible pour beaucoup d’entre nous était le réveil matinal, surtout les premiers jours, mais devant le tohu bohu des camarades et l’ultimatum annoncé par le surveillant, nous nous devions de rejoindre au plus tôt le réfectoire, non sans avoir au préalable jeté un dernier coup d’œil sur notre place. Presque au garde à vous, au pied du lit, le comptage s’effectue. Le compte est bon. A cette dernière expression, le top est donné ; on s’empressait de descendre les escaliers pour aller déguster ou boire c’est selon, le café au lait chaud accompagné de tartines beurrées.
A 7h45 nous étions dans les différentes cours attendant la rentrée dans les classes et là, nous retrouvions les externes pour les ragots du matin. L’amitié de plusieurs centaines de matinées, suivie d’une certaine solidarité, nous a transformés et nous continuons à la cultiver jusqu’à ce jour.

Et là, nous pouvons évoquer les deux journées où les internes avaient refusé de manger au réfectoire. Ils avaient entamé un mouvement de protestation qui n’a heureusement pas perduré. Sensibles, les externes ont prouvé leur solidarité en apportant avec eux, dans les cartables, qui des gâteaux, qui de la galette, qui des dattes …pour les donner à leurs camarades internes. Nadir Hamimid doit bien se souvenir.

A SUIVRE


Toufik Gasmi

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