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8-Mai-1945 (III) : de la mythologie de 1789 à la criminalité coloniale

Par Zahia El Mokrani-Gonon

mardi 15 mai 2007, , article écrit par Sétif Info et publié par La rédaction


‘’La technique moderne nous permet de transformer les hauts plateaux algériens en un vaste chantier de production de viande, nourricier de la métropole et peut-être de l’Europe.’’

JORF-5 mars 1946 (p.571).

Ce projet est inspiré, selon la suite de ce document, par une étude du IIIe Reich allemand prévoyant, en cas de victoire, ‘’le refoulement de l’élément autochtone qui ne serait pas strictement nécessaire’’. Autrement dit, ‘’l’élément autochtone’’ aurait réchappé au National Socialisme germain pour mieux tomber sous le futur couperet de la IVe République. Cet extrait estampillé ‘’Assemblée Nationale Constituante’’ administre la preuve de la nature de la doctrine coloniale des XIXe-XXe siècles qui a, chronologiquement, enfanté le Nazisme, lequel n’a sévi, en Europe, qu’à partir de 1936, soit une dizaine d’années. Certains interprètes de l’Histoire, nous opposent qu’ils n’ont pas trouvé de traces ‘’d’holocauste’’ dans l’Empire colonial français. Peut-être devraient-ils se reporter à l’extermination du peuple Herero de Namibie, justement par les Allemands, bien avant 1936 (1). Présumant la complicité des autres Etats Européens, représentés au sein de ‘’La Société des Nations’’, l’ancêtre de l’ONU, l’Empire allemand ne se trouvait pas devant la nécessité de faire disparaître les cadavres amoncelés à l’air libre aux confins des zones désertiques. L’idéologie nazie, de toute évidence, était dérivée des idéologies de ses cousins germains : l’apartheid pratiqué par l’empire britannique, perfidement drapé de son Habeas Corpus et le colonialisme républicain français, à cette innovation près : le IIIe Reich va tenter de la mettre en pratique, banalement, sur certaines populations d’Europe. Dès lors, le 8-Mai-1945 dans le Constantinois induit une toute autre lecture de l’histoire polémologique et des déchirements subséquents de l’Europe : il ne s’agissait ni plus, ni moins que de conflits d’hégémonie entre fascismes européens. Il devient impensable, aujourd’hui, de prêter la moindre considération de ‘’résistance’’ au nazisme des de Gaulle, Bourgès-Maunoury, Salan, Aussaresses. En fait, ils n’étaient que des concurrents. Les ‘’holocaustes’’ sur les ‘’indigènes’’ ou ‘’l’élément autochtone’’ étant une pratique courante, ils ne faisaient l’objet d’aucune condamnation et donc d’aucune qualification, au sens pénal du terme. Au mieux, on se contente de parler des ‘’massacres coloniaux’’ pour s’interroger sur leurs raisons, voire leur trouver des alibis et jusqu’à ce jour, cet euphémisme minimaliste semble avoir des difficultés à être remplacé par le terme qui conviendrait, alors et surtout que la consultation des seules archives accessibles, depuis la première prescription trentenaire ne laisse plus subsister de doutes sur ‘’le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord...’’ (2).

Précisons, à l’intention des spécialistes en approximations, que seul le 2ème alinéa de l’article 4 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » a été déclassé par la décision 2006-203 L, en date du 31 janvier 2006, du Conseil constitutionnel, saisi par le Premier ministre. En gros, ce ‘’déclassement’’ a autorisé son abrogation par décret du 15 février, signé du Premier ministre et du ministre de l’éducation nationale, après consultation du Conseil d’Etat. Mais, n’en démordant pas, un Conseiller d’Etat (3) persiste dans une envolée lyrique, au bas de sa note : « les faits historiques demeurent, avec leurs noirceurs et leurs lumières. Aux historiens d’en rapporter le récit contrasté, que le législateur n’a pas vocation à réécrire ». Soit et, quelles que soient les ‘’noirceurs’’, nous exigeons la lumière. Cette haute juridiction qui a frisé la suppression d’un trait de plume gaullien, car opposée aux négociations avec les Algériens, pourrait concourir à la manifestation de la vérité, puisque les voies de recours éventuels mènent devant le juge administratif. Ignorerait-il que ‘’le récit’’ est barricadée derrière un arsenal de 3 lois et 2 décrets qui soumettent le droit d’accès aux archives, à des dérogations accordées... à la tête du client, autorisations soumises à engagement d’usage restrictif, sous peine de s’exposer à des poursuites. On reste confondu devant tant de précautions préservant les secrets du réputé ‘’rôle positif’’. Une vingtaine de signataires (4) dénoncent ces mesures qui « ont restreint la liberté de l’historien, lui ont dit, sous peine de sanctions, ce qu’il doit chercher et ce qu’il doit trouver, lui ont prescrit des méthodes et posé des limites ». Fin de citation. Nous en profitons pour signaler que Le Juris Classeur des années 1960 abonde d’analyses, signées par les titulaires de chaires des universités de droit, justifiant la ‘’législation d’exception’’, autrement dit la mise sous tutelle militaire du pouvoir législatif et de l’autorité judiciaire, en invoquant ‘’la flexibilité du principe de légalité’’ (5). En fait de‘’flexibilité’’, ‘’la magistrature assise’’ est passée à la position couchée.

Le Service Historique de l’Armée de l’Air (S.A.A.) ne ménage aucun accès à ses archives. Normal, ce sont ses appareils et ses pilotes qui répandaient le napalm. Dans les années 1970, une simple promenade dans les massifs montagneux, comme à Tikjda-Bechloul, au-dessus de la localité de Bouira, tournait au pèlerinage : des coulées noires descendaient des sommets aux vallées, les squelettes des troncs d’arbres calcinés dressaient leurs branches tordues, comme une conscience, vers le soleil ou le ciel étoilé. Les Journaux de Marche et Opérations (J.M.O), les archives de la gendarmerie sont, encore, non communicables. Un autre noyau dur du ‘’rôle positif’’ reste soustrait à la curiosité de l’opinion publique et de la science : les mégatonnes de plutonium déversées sur le Sahara, contaminant tout l’écosystème, avec la palme du silence décernée aux organisations écologistes internationales et autres partis français verts... de gris. Les nazillons du corps médical n’étaient pas en reste, comme l’atteste le procès verbal du constat de décès du chahid Larbi Ben M’hidi, en date du 16 mai 1957, avec signatures, grades et titres de médecins, bien en vue : « Notre attention n’a pas été attirée par des marques apparentes de blessures ». Le rapport d’autopsie légale, du 21 mars 1957, du corps du chahid Me. Ali Boumendjel concluait à « un suicide par chute d’un lieu élevé ». A signaler que ces documents ont été publiés, par un militaire pseudo-journaliste, dès septembre 1962, bien avant qu’un général tortionnaire, au sadisme exacerbé par la sénilité, passe des aveux. Ce qui atteste de la reconversion des criminels de guerre français dans l’exploitation à but lucratif de leurs faits et actes, sûrs de toute impunité.

Le prochain épisode sera consacré à notre point de vue sur la dernière commémoration du 8-Mai-1945 sur la presse algérienne, suivie en ligne. Elle sera, également, disséquée au scalpel.

Zah., arabelles@wanadoo.fr Paris, le 2 juin 2006

1. se reporter à l’excellente étude de Horst Dreschler, Editions Verlag, disponible au Centre de documentation des Nations Unies, Paris.

2. Voir étude loi du 25 fév. 2005, mise en ligne, 10 déc. 2005, 22 fév. 2006.

3. Petites Affiches n° 34, p.3 : Loi, histoire et déclassement.

4. Le Monde, édition 14.12. 05.

5. Voir article, mis en ligne, à la mémoire du chahid F. Iveton, dont le recours en grâce fut refusé.


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