SETIF.INFO

Accueil > Setif.info (1999-2021) > Reportages

L’antique Cuicul attire de plus en plus de touristes

Djemila ou la beauté faite patrimoine

mercredi 30 août 2006, , article écrit par La Tribune et publié par La rédaction


L’antique Cuicul est un site archéologique exceptionnel qui se dévoile après que le visiteur a parcouru un long chemin. Plus on approche de la commune actuelle, plus le nombre de virages augmente, tel un prélude au vertigineux voyage dans le temps. Il faut alors arpenter une longue pente pour découvrir la cité et la beauté de... Djemila

Située à cinquante-quatre kilomètres de Sétif, la cité antique de Cuicul a été construite au 1er siècle sous le règne de l’empereur Nerva. Dès le premier regard, Djemila est attrayante par ses colonnes et ses vestiges qui s’étalent sur près de quarante-deux hectares.
Les murs délimitent encore les maisons et les façades en arc sont toujours aussi majestueuses. C’est une véritable invitation au voyage pour le visiteur fasciné par cette ville qui le convie à en découvrir les charmes insoupçonnables.

Mohamed Akli Ikharbane, conservateur du musée et du site de Djemila souligne : « L’antique Cuicul, nom vraisemblablement local étant donné qu’il est peu adapté à la phonétique latine, se distingue particulièrement par ses belles et somptueuses demeures toutes pavées de mosaïques aussi riches que variées tant sur le plan des scènes que celui des couleurs et de l’exécution, allant du simple géométrique aux représentations mythologiques et aux diverses scènes de la vie de la cité, et même l’évocation de notables de l’époque. »
Il met en exergue le fait que, depuis deux ou trois années, le nombre de touristes étrangers ne cesse d’augmenter. De plus, l’organisation d’un festival international contribue à augmenter la célébrité du site. Concernant le risque potentiel de dégradation du site, il explique : « Cela ne fait que deux années que le festival a commencé ; au jour d’aujourd’hui, on ne constate pas de préjudice réel. Le plus important est de poursuivre un travail de restauration et de réhabilitation tout au long de l’année afin d’assurer la pérennité du site. »
Dans son ouvrage intitulé Djemila, l’antique Cuicul, joyau du patrimoine universel, Mohamed Akli Ikharbane décrit Djemila en soulignant : « La colonie de Cuicul ou de préférence Djemila, faisait partie de ce monde et de cette époque où la Méditerranée était le centre du monde. Sentinelle au cœur d’un massif montagneux entre Sétif et Constantine.
Elle est construite de part et d’autre d’une grande rue faisant office d’axe principal nord-sud.
Un forum dallé, des places publiques ouvertes seulement aux piétons et jonchées de bases honorifiques portant jadis des statues de divinités, d’empereurs du IIe au IVe siècle et de certaines notabilités de la cité et de la province de Numidie. Une bonne partie de l’histoire est consignée ou gravée sur ces bases. C’est ainsi que les archéologues ont pu retracer le passé glorieux de cette ville dont la richesse foncière s’articulait autour de l’activité agraire, de l’élevage et du négoce. »
Hichem Guesmia a suivi une formation de guide avec une dizaine de jeunes de la région qui font découvrir aux touristes les arcanes de cette ville ancestrale. Il guide les passionnés d’histoire sur le site qui se caractérise par une certaine cohésion architecturale et une continuité historique, matérialisée notamment par les monuments publics auxquels s’ajoutent les demeures.
Cette ville romaine, qui fut très opulente, abritait près de 10 000 à 12 000 habitants.

Cuicul, la beauté

Mystérieuse des pierresHichem nous confie que, chaque printemps, la tradition veut que les familles viennent de cent kilomètres à la ronde pour passer au moins une journée sur le site. C’est l’occasion de célébrer le printemps avec des victuailles préparées à base de semoule et de pâte de datte, tels que le « ghrif » et les « bradj ».
Armé du livre du conservateur du site, on découvre pas à pas autour du forum, « où devait se trouver impérativement une basilique judiciaire pour les procès, les transactions boursières et servant en cas d’intempéries. La première est sur le flanc ouest, dite Julia datant de 169 ; la deuxième, un peu plus loin au sud, à côté de la grande place dite des Sévères, datée entre 364 et 367. Il y a aussi des marchés pour se ravitailler et autres produits manufacturés réalisés sur place ou importés, dont celui des frères Cosinus. Accolé au marché se trouve un autre monument, le panthéon, non seulement intéressant du point de vue de son solide et massif soubassement composé d’arches et de piliers mais aussi du point de vue de son importance spirituelle et politique ». Le guide attire notre attention sur un perron impressionnant qui permet l’accès à « la cella du capitole » où trône un massif autel de sacrifice qui, restauré, représente sur une face un génie ailé sortant d’un vase et sur l’autre face la scène du sacrifice avec la représentation des animaux immolés (un coq, un bélier et un taureau) et les instruments du sacrifice. Les nombreux visiteurs marquent une halte au temple de Vénus pour se faire photographier sur les marches et incruster sur la pellicule la beauté de ce lieu empli de magie. A l’occasion du festival, une kheïma a été dressée où l’on peut siroter du thé sur des bancs recouverts d’épais tapis des Aurès.
L’un des lieux marquants de la visite est une vaste place de 3 200 m², rehaussée de deux grands bijoux architecturaux. Le premier est l’arc de triomphe dédiée à Carcacalla, surnom de l’empereur romain Marcus Aurelius Bassianus.

Le deuxième monument est le temple de la famille des Sévères édifié en 229. C’est au pied de ces deux monuments très emblématiques qu’aujourd’hui des milliers de spectateurs affluent pour des célébrations et des festivités d’un autre temps. A cent mètres de la place s’élève un théâtre antique qui pouvait contenir près de 3 000 places.
Par ailleurs, il existe plusieurs thermes, véritables lieux de rencontres sociales de la cité. Le plus important de ces thermes est celui construit par le dernier représentant des Sévères et qui s’étend sur une superficie totale de 2 600 m². Ces thermes ont livré le seul fragment intact de peintures murales représentant des poissons que l’on peut admirer au musée de Djemila. Ainsi, à l’image de Rome, Djemila est sertie de forums, de places publiques, de marchés, de monuments et de ces thermes. Sous le règne de Constantin Ier, l’ère chrétienne a donné un autre souffle à la ville. Aux monuments dédiés aux divinités de l’Antiquité se sont joints trois basiliques, une chapelle et un baptistère, le seul complet d’Afrique du Nord.
Après six siècles d’existence, « la ville disparaissait dans des conditions très floues.
Elle semble avoir été systématiquement pillée, détruite puis abandonnée », souligne le conservateur du site.
Heureusement que les somptueuses demeures ont révélé à travers les fouilles les exceptionnelles mosaïques couvrant leurs sols, faisant de Djemila « le pendant africain de Pompéi auquel il ne manquerait que l’envergure et les peintures murales ». Ces mosaïques sont conservées au musée de Djemila, situé à quelques pas du site.
On peut découvrir à l’entrée du musée, sous une verrière, des stèles dédiée à Saturne. Le tronçon de colonne portant la tête colossale de Septime Sévère guide les pas du visiteur qui découvre les trois salles abritant les plus belles pièces de la cité. Ainsi, la toilette de Vénus, des scènes de chasse, et l’enlèvement de Hylas par les nymphes sont de véritables joyaux qui ont traversé le temps pour dévoiler tout un savoir-vivre. Dans les vitrines, des objets en terre cuite, en bronze, en fer, en marbre, en verre et en os dévoilent les reflets de la vie quotidienne qui avait animé la cité.Même
si, aujourd’hui, la commune de Djemila a bénéficié de la retombée de la médiatisation du festival, différents problèmes sociaux marquent la vie des habitants, ciblant particulièrement les jeunes.

Des autochtones à l’abandon à deux pas d’un joyau
Lakhdar confie que « grâce au festival, on a bénéficié d’une route goudronnée et l’éclairage public a été renforcé. Mais, il leur manque une station d’essence pour faciliter le déplacement des touristes et des habitants. Il y a quelques années, un privé a essayé d’investir, mais il a rencontré tellement d’entraves administratives qu’il a préféré laisser tomber le projet ».
En fait, aujourd’hui, les jeunes de Djemila ne sont plus les privilégiés d’antan, le chômage règne en maître absolu, et la drogue est la seule échappatoire. La plupart des jeunes réclament du travail et plus
d’activités surtout à l’occasion du festival.
Ali, un jeune de vingt ans, explique : « La majorité des emplois durant le festival sont donnés à des jeunes qui ne font pas partie de la commune. En plus d’être privé de travail, on est aussi privé de soirées. Comment voulez-vous qu’on puisse se payer un billet de cinq cents à sept cents dinars quand même ceux qui travaillent possèdent à peine de quoi subvenir à leurs besoins ? Mais ici, il n’y a pas de travail et la plupart des jeunes se déplacent jusqu’à 65 kilomètres pour gagner 400 dinars par jour. Après avoir réglé les frais de transport et de nourriture, il ne nous reste que 100 DA par jour. Je pense que les autorités locales auraient pu faire un effort, comme cela a été fait à Sétif où la wilaya a subventionné des billets pour de nombreux jeunes. »

Azzedine, un autre jeune natif de la commune explique : « Aujourd’hui, il faut prendre en compte les jeunes de Djemila. Le festival doit être une occasion et non une source de frustration. Pour le reste de l’année, il est aussi important de créer des activités. Il existe une maison de jeunes mais qui n’ouvre pas ses portes. Il y a des jeunes qui veulent faire de la musique, du théâtre ou tout simplement une activité artistique qui puissent les détourner de la drogue, résultat d’un vide à combler. »
Finalement, le site de Djemila est un lieu féerique où le visiteur peut traverser six siècles de l’histoire de l’Algérie.
Mais aujourd’hui, au début du nouveau millénaire, le riche héritage des anciens devrait également contribuer à la relance de la vie des habitants, afin que Djemila puisse porter son nom avec fierté sans aucun ombre au tableau.

Par Sihem Bounabi


La Tribune

Dans la même rubrique