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La construction urbaine en Algérie

Après les bidonvilles, les « bidonvillas »

jeudi 21 septembre 2006, , article écrit par Z.S. Loutari, Le Quotidien d’Oran et publié par La rédaction


Lors d’une virée à travers les quartiers modernes de la ville de Sétif, un architecte français, qui a dans son actif professionnel une légion d’ouvrages sur les nouvelles tendances urbanistiques et leur incidence sur les mécanismes socio-économiques en Algérie, révélera qu’au bout de sa troisième visite à la ville antique de Sitifis, il aurait constaté que de la misère vécue dans les nombreux bidonvilles qu’il connaissait à Sétif, une autre forme de misère sévit inexorablement dans « les somptueux » quartiers de la ville désormais clairsemés de « bidonvillas ».

« D’après la définition universelle, une villa est une maison individuelle avec rez-de-chaussée et un étage. Ce qu’on qualifie dans le jargon habituelle de R+1 avec côté cour et côté jardin » argumentera l’architecte français pour lequel il reste insensé de s’enorgueillir de posséder une maison individuelle sans un minimum de confort et de convivialité et surtout d’intimité. Pour notre interlocuteur, disposer d’une maison individuelle sans pouvoir goûter au plaisir de posséder une propriété privée, sachant que les rez-de-chaussée transformés en garages sont loués à des tierces personnes exerçant différents métiers, est une forme flagrante d’ignorance criarde du concept de quartier résidentiel.

La réalité ne dément en rien l’opinion de l’architecte français. Construire une maison équivaudrait aujourd’hui à ériger des bâtisses de plus de deux étages avec des « garages » à usage commercial au rez-de-chaussée. Cette manière de faire s’est enracinée dans les esprits, dans la culture des habitants de la région des hauts plateaux, dénaturant ainsi la notion de villa ou de maison individuelle, ainsi que l’environnement global, désormais sans la moindre harmonie. « Je pense que les gens préfèrent construire en hauteur, négligeant l’aspect esthétique et surtout convivial qui fut dans une autre époque un trait du caractère social des habitants de la ville de Sétif ». Cette réflexion de l’architecte français interrogé, résume à elle seule les contours de la nouvelle conception que se font les enfants de Sid El-Khier de la construction d’une habitation. Selon les nouvelles tendances, il n’est pratiquement plus question aujourd’hui d’ériger une maison individuelle digne de ce nom, et qui prenne en compte tous les aspects d’une vie confortable et tranquille. Mais, en plus du volet architectural qui est rarement respecté, les nouveaux réflexes négatifs ont produit une autre réalité. La notion de quartier résidentiel est vouée désormais à la pure disparition, compte tenu de l’émergence de nouveaux lotissements, composés de maisons individuelles, s’apparentant beaucoup plus à des immeubles qui poussent à travers les artères et les nouvelles extensions de la ville, notamment dans les grands centres urbains tel le chef-lieu, El-Eulma, Aïn Oulmène, Aïn El-Kébira, Bougaâ, etc. Le phénomène est partout et apparemment rien, ni personne ne peut l’arrêter. Même les petites agglomérations les plus reculées n’échappent pas à cette tendance.

Les anciens quartiers historiques de la ville tels les Beaux Marchés, les Cheminots, le coeur même de la ville, se font plus exception. Souvent des propriétaires, et pour des considérations liées à des problèmes d’héritage, cèdent leurs bijoux architecturaux à des tiers qui en démolissent la structure pour édifier des mastodontes sans goût et des bâtisses géantes fades à la vue. Mus par le seul souci de louer des locaux commerciaux, implantés dans la totalité des surfaces des rez-de-chaussée, ou de créer de nouveaux revenus qui permettent d’achever la construction, les nouveaux propriétaires font carrément fi de l’aspect architectural, le respect de l’environnement, le confort, la tranquillité ! Une simple enquête permet de situer quelques-uns de ces quartiers de la capitale des hauts plateaux où ces mastodontes, qu’on appelle grossièrement « villas », continuent de pousser à une allure impressionnante, défigurant les paysages dans les centres urbains, comme c’est le cas au quartier de Dallas, Beau Marché français. « La notion de villa n’existe plus en Algérie dans la mesure où les gens construisent des bâtiments », souligne un architecte dirigeant un bureau d’études.

La prolifération des commerces dans des quartiers supposés au départ être « résidentiels » est due à la suppression de l’enquête dite de commodo-incommodo qui réglementait et organisait l’activité du commerce et d’activités, note le directeur du Commerce de la wilaya de Sétif. La procédure a été supprimée au cours des années 1990 dans le cadre de lutte contre la bureaucratie. « Désormais force est de constater qu’on a tenté de régler un problème en en créant un autre plus grave, d’où l’anarchie dans l’exercice de l’activité commerciale », constate un fonctionnaire citant à titre d’exemple la cité des grossistes implanté en plein coeur de la cité Kirouani et la nouvelle cité résidentielle d’El-Eulma communément appelée Dubaï. Un autre fait ayant ouvert la voie à la prolifération de ces « bidonvillas ». Il s’agit du fait que les permis de construire sont délivrés « sans obligation pour les services publics concernés de suivre le processus d’édification des ouvrages ». Un architecte préfère, lui, plutôt mettre en garde contre les dangers que représentent ces commerces exercés au rez-de-chaussée des maisons sur les habitations et sur ces occupants. « Pour avoir des locaux plus spacieux et donc d’une valeur locative plus importante, les gens recourent à la suppression des cloisons du rez-de-chaussée, ce qui crée le phénomène de pendule inversé, c’est-à-dire le problème de répartition de la masse dans le bâtiment » révèle notre interlocuteur. Ainsi selon lui, le déséquilibre dans la qualité des deux masses (rez-de-chaussée et étage supérieur) perturbe la force sismique, sachant que la masse la plus importante doit se situer au rez-de-chaussée.

Z. S. Loutari


Z.S. Loutari, Le Quotidien d’Oran

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