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Sétif 8 mai 1945 : La mémoire subsiste toujours

mardi 8 mai 2007, , article écrit par El Watan et publié par La rédaction


L’on ne cessera pas de ressasser assez longtemps les contrecoups de l’injustice au même moment où l’on continue à vous récuser le droit à la réparation. La répétition narrative ici tend à témoigner que l’histoire ne change pas. Sa prise en charge oui.

Il est un devoir intellectuel d’apporter l’information historique telle qu’elle s’est produite, il demeure néanmoins loisible de la commenter. L’information étant objective, libre est le commentaire. Le 8 mai fut un fait en 1945, est-il devenu juste après un simple commentaire ?

Discours. Le jeune Mostefa Benboulaïd, futur leader de la révolution, en guise de méditation à ces glorieux évènements et à la mémoire des gens tombés au champ d’honneur ; décida d’observer, chaque année et aux mêmes moments, un jeûne rituel plein de symboles et de souvenances. Les évènements tragiques du 8 mai 1945 furent perçus à cette époque comme un précurseur final de la libération nationale qui s’annonçait dans le sentiment de chaque Algérien. L’on voulait, à l’instar de la célébration de l’armistice et la capitulation allemande, manifester son désarroi et sa propension vers l’indépendance et le couronnement de la lutte du mouvement nationaliste. Une foule estimée aux environs de 10 000 personnes entamait son élan rue des Etats-Unis (mosquée de la gare) et se dirige vers le centre-ville, rue Georges Clemenceau... Pacifiques, dépités et désarmés, les paisibles manifestants scandaient des slogans de paix et de liberté. « Indépendance », « Libérez Messali Hadj », « L’Algérie est à nous ». Ils s’étaient donné pour consigne de faire sortir pour la première fois le drapeau algérien. La riposte fut sanglante. De Sétif, elle s’est généralisée. Elle allait toucher tout le pays durant tout le mois de mai. L’Algérie s’embrasait sous les feux brûlants du printemps 1945. Le colonialisme ne s’emmure pas strictement dans un concept philo-politique du dernier siècle. Il cajole, tel un jouet l’enfant ou la force un pâteux. L’oubli est un autre moyen de se cacher des vérités. Il aurait été aussi une manière d’effacer les taches, une tanière pour les lâches, une lanière pour les vaches ! Voici ce qu’écrivait, il y a un mois, un internaute français, en préparation à une étude historique sur cette période : « Le 8 mai n’est que la partie émergée d’une histoire de l’Algérie qui commence en novembre 1942 au moment du débarquement anglo-américain à Alger et des espoirs que nos alliés ont laissé entendre auprès des nationalistes algériens d’une part, et qui est manipulée par la partie révolutionnaire du PPA, à savoir le Carna... » (1) L’historien algérien sera dans l’obligation de vérité d’éclaircir davantage non sans circonspection cet aspect impliquant positivement ou négativement les alliés. Car dans un autre document, il y est affirmé que « les Français ont demandé aux Américains et aux Anglais de leur prêter des avions pour transporter des troupes, les Américains n’en avaient pas, les Anglais en ont prêté ».

Là, le commentaire touche ses limites et s’immole, inapte au profit de la dextérité de l’histoire. Le 8 mai 1945 fut un mardi pas comme les autres. Un jour de marché hebdomadaire. Les gens massacrés ne l’étaient pas pour diversité d’avis, mais à cause d’un idéal. La liberté. Ailleurs, il fut célébré dans les interstices de la capitulation de l’état-major allemand. Ce fut la fin d’une guerre. La Seconde Guerre mondiale. Cela pour les Européens. Mais pour d’autres, en Algérie, à Sétif, Guelma, Kherrata, Constantine et un peu partout, ce fut la fête dans l’atrocité d’une colonisation et d’un impérialisme qui ne venait en ce 8 mai qu’annoncer le plan de redressement des volontés farouches et éprises de ce saut libertaire. En ce jour de ce jour de chaque année, dans cette ville ou nulle part, la mémoire collective se confinera certainement dans un ordre du jour. Une marche, une gerbe de fleurs enrubannée à déposer et quelques biscuits et dattes non fourrées à déguster. Voilà une commémoration à la mesure de l’évènement ! Guernica s’est immortalisée par la palette de Picasso. Sétif ne l’est-il pas, par les défaites et la forfaiture de ses peintres, artistes et poètes ? Bien que non ! Kateb Yacine, Abdelhamid Benzine, Abdou B. Ammar Koroghli, Fayçel Ouaret et Amor Chaâlal en sont, pour ceux qui savent les explorer, les Picasso et les Neruda de la citadelle massacrée. Le 1 mai 1945, le PPA clandestin réunissait à Alger, rue d’Isly, beaucoup de personnes. Cette « réunion » s’est soldée par des morts, des arrestations et des tortures. Au même moment à Sétif, un regroupement similaire s’érigeait à Sétif. N’était l’habilité et la hardiesse du défunt Si Mahmoud Guenifi (mort récemment dans une totale indifférence) d’exhorter la foule à se disperser, l’hécatombe aurait été avancée d’une semaine. Dans la matinée du fatidique 8 mai, en guise de riposte à cette manifestation pacifique, la police ouvra le feu. « Le maire socialiste de la ville la supplie de ne pas tirer. On a tiré sur un jeune scout »(2). Ce jeune « scout » fut le premier martyr de ces incidents. Saâl Bouzid, 22 ans, venait par son souffle d’indiquer sur la voie du sacrifice la voie de la liberté. K. Z., âgé alors de 16 ans, m’affirme non sans amertume à ce propos : « Il gisait mourant par-devant le terrain qui sert actuellement d’assiette foncière au siège de la wilaya. Nous l’avons transporté jusqu’au docteur Mostefaï... et puis... » L’émotion l’étouffe et l’empêche de continuer. Plusieurs d’entre acteurs et témoins encore en vie sont ainsi soumis à la souffrance du souvenir et le devoir de dire ce qu’ils ont vécu, vu, entendu dire et se dire. Ils craignent pour la postérité, l’amnésie. Se souvenir reste quand bien même une bonne expression de soi. Une reconnaissance méritoire pour autrui. Les quelques témoignages comme ci-dessus risquent, à peine d’être la cible d’historiens, de disparaître avec les quelques repères qui survivent encore. Parler à Sétif du 8 mai 1945 rend obligatoire la citation de noms-phares. Abdelkader Yalla, Lakhdar Taârabit, Laouamen dit Baâyou, Bouguessa Askouri, Gharzouli, Rabah Harbouche, Saâd Saâdna, Miloud Begag, Saâdi Bouras, Benattia et beaucoup d’autres que seul un travail sérieux institutionnel pourrait les lister et en faire un fronton mémorial. Pour preuve, et il est regrettable de le mentionner que même le moteur de recherche Google à Internet n’arrive pas à reconnaître ces usuels noms parmi d’autres. Dans les localités environnantes à Sétif, Ras El Ma, Beni Azziz, El Eulma, des douars entiers furent décimés, des dechras et des familles furent brûlées à vif. On raconte le martyre de la famille Kacem. Korrichi, son fils Mohamed et son frère Nouari furent torturés et tués à bout portant après qu’ils avaient à leur tour abattu l’un des éléments du corps expéditionnaire français. La mémoire pour certains « proconsuls » en charge de l’histoire n’est pas le miroir de leur population, elle n’est que le reflet de leur passion en somme toute démesurée, ou un raccourci de bouton, pour rendre l’ascenseur. Un philosophe byzantin, Louchy Hanoucha Athmanus de l’antique Sitifis, disait à l’égard de l’empereur de sa cité : « Si vous pouvez ignorer l’histoire, vous ne pourrez faire effacer la mémoire. » Le 8 mai 1945 signifie la fin du nazisme. Il correspond aussi à l’un des moments les plus sanglants de l’histoire nationale. La répression colonialiste venait d’y faire ses premiers accrocs face à une population farouchement déterminée à se promouvoir aux nobles idéaux de paix et d’indépendance. Il ne pouvait se circonscrire dans une dimension de simples « évènements » ou « incidents » de Sétif. Ce 8 mai avait ébranlé toute la puissance coloniale. Loin d’un fait divers, il provoqua une énorme ébullition chez dans le haut commandement militaire français de l’époque. Le général Henry Martin commandant du 19e corps en Algérie (1944-1946) écrivait cela : « Le gouverneur général, Yves Chataigneau, responsable de la sécurité intérieure et extérieure de l’Algérie, requiert l’intervention des forces armées de terre, de mer et de l’air... Il rend les pouvoirs de l’état de siège à l’armée » (3). Donc « l’incident » ne fut pas une affaire « d’émeutiers ou d’insurgés », c’était d’un côté une guerre classique avec l’engagement de forces armées, et de l’autre une décision libératrice quel que soit le prix. Le nationalisme se durcissait et corroborait la galvanisation d’une inévitable révolution par les armes. Novembre pointait déjà du nez. Hichem Lehmici rapportait, sur un site approprié, le jeudi 25 décembre 2003 que « Sétif allait marquer une étape cruciale, rien ne sera plus comme avant. Le fossé allait se creuser considérablement entre Algériens et colons. La guerre de libération devait commencer 10 ans plus tard, elle avait en fait joué son premier acte à Sétif. Nul d’ailleurs ne pouvait mieux l’exprimer que le grand écrivain algérien Kateb Yacine lorsqu’il écrivit : « A Sétif, se cimenta mon nationalisme, j’avais 16 ans ». Kateb se souvient aussi : « Qu’on voyait des cadavres partout, dans toutes les rues... la répression était aveugle ; c’était un grand massacre. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de morts... la répression était atroce », concluait le grand romancier (4). Le réflexe allait saisir forme par un châtiment sans pitié sur les gens. « A Sétif, Guelma, Kherrata, de terribles massacres ont été exécutés. L’armée coloniale, conduite par le général Duval ‘’le boucher de Sétif’’, fusille, exécute, torture et viole, tandis que l’aviation et la marine bombardent les villages. A Guelma, les B23 ont mitraillé des journées entières tout ce qui bougeait. A Kherrata, ce furent des familles entières que l’on jetait du haut d’un précipice. Des dizaines de milliers de morts à comptabiliser, plus de 45 000, d’après les sources algériennes et américaines. Sans oublier non plus les milliers de blessés, d’emprisonnés envoyés dans les camps ». Ainsi, il est urgent que les experts en histoire se penchent avec perspicacité dans les coins et recoins de cette glorieuse page de nos hauts faits historiques. Un appel des plus stridents se laisserait entendre par ceux-là mêmes qui ont pu embryonner la genèse de Mai 1945, pour exalter que le nationalisme n’est pas une profession de foi ni un engagement dressé au sein d’une étude notariale. A la limite de la foi, il n’est non plus un droit de détention d’un bout d’une CNI ou d’une attestation de participation. C’est un comportement, un esprit, une pieuse pensée et une profonde réflexion. Mai ou novembre à l’instar de tant d’attributs historiques nationaux doit être remis à qui de droit. Véritable ayant droit, la population en ces multiples facettes de représentativité devrait récupérer la solennité des hauts faits de la nation. Mai ou novembre n’est pas une affaire de wali. C’est l’affaire de tous. Mais entre nous, si l’administration se retirait de l’organisation de ces fêtes, tous les jours se ressembleraient. Il n’y aurait plus de « commémoration ». Donc par utilité culturelle, faisons-le, au moins, au bon endroit, à bon scient et pas à l’envers de l’objet du message. L’oubli et la désuétude. Alors, quelle est la meilleure méditation que l’on puisse faire face à ces tragiques « incidents » ? Ne pas oublier.

Se souvenir. En parler. Ecrire les faits dans leurs profonds détails. Pour ce faire, il est à suggérer : 1/ L’édification d’une stèle digne d’un mémorial de saints à la mesure de la grandeur de l’évènement qui dépasserait l’amateurisme des petits carreaux d’une faïencerie mal émaillée. 2/ La création d’un centre d’études et de recherches historiques en affermissement d’une fondation qui sous-tend même tendrement un caractère associatif donc politicien. M.A.I. 45 (Mémoire, action et initiative) serait un démembrement institutionnel du département histoire de l’université doué de liens conventionnels avec les différentes sphères ayant pignon sur rue des luttes populaires. 3/ L’institution d’un colloque international relatif au 8 mai 1945. Le 8 mai 1945 est une souffrance encore violente d’un régime tortionnaire. Elle se perpétue de l’être tant que le crime commis n’aurait à s’absoudre dans une reconnaissance toute à la grandeur de ceux qui la feront. Pour que vive ; martyre, la mémoire : rappeler les gloires, narrer les horreurs et gueuler à tous les parloirs ; restera aussi dans la mémoire, un devoir de mémoire. Déjà 62 ans ! « Il est temps que se reconnaisse l’agresseur comme tel et avoue ses crimes... l’unique condition pour que la page soit définitivement tournée. » (5)

Notes de renvoi :
(1) Algérie en mai 1945 de Roger, le dimanche 7 mars 2004 à 11h06. Freefrench.
(2) Source Internet : les heures noires de la guerre d’Algérie (massacres de Sétif)
(3) Historia Magazine n° 196. octobre 1971.
(4) Cité par Boucif Mekhaled Chroniques d’un massacre 8 mai 1945. Setif, Guelma, Kherrata. Syros. Paris.1995.
(5) Editorial de la fondation du 8 mai 1945 de Sétif. (Non à l’oubli, non à l’impunité) ed. Ethika.2006

El Yazid Dib
El Watan


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