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20 août 1955, tournant irréversible sur les deux fronts (partie I)

dimanche 16 août 2009, , article écrit par zahia eM-Gonon, Setif Info et publié par La rédaction


n ne peut expliquer efficacement aux jeunes générations la donne coloniale sans l’analyse de l’idéologie et du régime institutionnel et politique qui l’ont générée. L’occupation coloniale va instituer un mécanisme d’appel récurent au législateur pour se confectionner un habit d’apparence légaliste : la législation pénale servait d’arsenal complémentaire de la stratégie militaire.
Il convient de rappeler que de 1871/75, soit l’installation du 19e. Corps d’armée à la suite du Corps expéditionnaire, jusqu’à sa débâcle en 1940, la vie de la IIIe. République se confond avec l’expansion, sur plusieurs continents, de sa doctrine belliciste : vu le sort de l’empire napoléonien en Europe, la France, enfermée dans son hexagone par l’humiliant Traité de Vienne de 1815, se constitue un empire colonial, après le traumatisme de Sedan. Selon J. Ferry, président du Conseil (1881), la patrie française ne s’arrête pas à Marseille. Son parlement va refléter les aspirations militaristes des différentes branches royalistes, impériales et radicales.

Ironie de l’Histoire, elle expirera dans les bras d’un maréchal vaincu.
Mentionnons, au passage, que la IVe. République conçue à Alger, faut-il le rappeler, par des Français qui y avaient trouvé refuge pendant que leur pays était sous occupation allemande, inaugura sa naissance par le bain de sang du 8-MAI-1945. Seul l’espace vital offert par l’étendue de l’Algérie et de son littoral a permis aux Auriol, Cassin, de Gaulle d’éviter à la France d’être occupée par les alliés, comme Etat vaincu ayant collaboré, tels l’Italie, l’Allemagne et le Japon.
Il n’est pas question de détailler, ici, les intrigues, éliminations et assassinats qui s’y sont déroulés pour permettre à de Gaulle et ses hommes de s’emparer du gouvernement provisoire en juin 1944. Il accorda le droit de vote aux Françaises et rétablit les juifs indigènes dans leurs droits du décret Crémieux abrogé par le gouvernement de Vichy.

En guise de reconnaissance, les Algériens se virent octroyer cyniquement un Statut de l’indigénat retouché, avec reconduction de la ségrégation devant les urnes. Et, en toute vraisemblance,
il planifia avec le 19e. Corps d’armée et le gouverneur général Chataigneau installé par ses soins,
le génocide du 8-MAI, avant de rentrer chez lui, en août 1944.
Cette domination par la violence, surmontée de phases aiguës de sanglante terreur, institutionnalisée par un légalisme de confection, avait conféré à l’occupant une illusion de totale impunité, un siècle durant. Le 20-AOUT-1955, les certitudes changent de camp.

La loi n° 55-38 du 3 avril 1955, reconduite le 7 août, instituant un état d’urgence et en déclarant l’application à l’Algérie était emblématique de la législation d’appoint venant habiller des voies de fait coutumières : détentions arbitraires, punitions collectives exécutions sommaires, etc… (extrait, annexe 1). Elle était à l’étude depuis le Statut organique de 1947. En 1954, justement à la veille du 8 mai, l’aventure d’Indochine prenait fin, avec 28.000 hommes laissés dans la cuvette de Diên Biên Phü. Le ‘’Comité des 22’’ n’en attendait pas tant. Les orphelins/nes du 8-MAI-1945 approchaient la vingtaine.
La IVe. se battait éperdument sur tous les fronts d’hostilités ouverts pour tenter de garder les possessions conquises, jusqu’à son effondrement sous le soleil d’Alger, en mai 1958. Pendant sa courte vie, ses multiples et instables cabinets ministériels chutaient sur le vote des crédits militaires et l’échec de la répression des soulèvements anti-coloniaux.
Le Conseil des ministres présidé par P. Mendès-France préparait un projet de loi en réponse au déclenchement du 1er-NOVEMBRE-1954. Le 5 février, Il s’est vu refuser la confiance des partis politiques. E. Faure prit la suite, et avec les mêmes ministres, fit déclarer l’Algérie sous état d’urgence, le 3 avril 1955, après une semaine de débats.
Les parlementaires semblaient totalement ignorants du précédent de l’état de siège de 1871/72, prorogé et étendu par la loi du 5 janvier 1875, à l’initiative du gouverneur.
‘’Ce projet de loi s’inspire des décrets promulgués à l’ombre des baïonnettes nazies par Darnand et Pétain au nom de l’Etat français. Son application immédiate en Algérie prend en conséquence le caractère d’une agression contre le peuple algérien...’’ (J.O du 30 mars 1955 ; débats, p. 2132).
Le rapporteur annonce, d’entrée de jeu, qu’il s’agit de ‘’dessaisir l’autorité civile au profit de l’autorité militaire’’. Au cours des échanges entre parlementaires des différents bancs, il ressort que depuis novembre, les Cabinets successifs avaient déjà autorisé les violences et les illégalités. S’adressant aux ministres nommément, un député leur lance : ‘’vous avez l’intention d’utiliser pour une sale besogne l’armée. Vous allez non plus couvrir, mais ordonner les tortures’’. Un autre dénonce ‘’une police spécialisée dans la méthode des aveux spontanés’’.
M. Bourgès-Maunoury, ministre de l’Intérieur, précise que le garde des sceaux peut fournir toutes explications sur l’article qui autorise ‘’la juridiction militaire à se saisir de crimes ainsi que des délits qui leur sont connexes’’. Il ajoute : ‘’cette mesure est rigoureusement indispensable pour permettre, dans les circonstances actuelles, en Algérie, le déroulement normal de la justice’’. A signaler, que ce garde des sceaux, Robert Schuman, avait participé en 1950 à la rédaction des statuts de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
De telles citations, puisées dans les trois cents pages de débats, peuvent être multipliées à l’infini. Elles ont pour auteurs J. Soustelle, gouverneur général ou bien, F. de Menthon (1), réfugié à Alger, puis procureur général au Tribunal de Nuremberg assis, pour la circonstance, sur les mêmes bancs qu’un député ex-directeur de Cabinet de Pétain. Les colons députés réclamaient la création de cours martiales, ce qui revenait en fait à la légalisation des exécutions sommaires.
Mais, façade pseudo légale oblige, la dernière partie du débat était consacrée aux différents points de vue sur le droit laissé aux Algériens d’attaquer les mesures administratives dont ils seront victimes, s’ils les estiment arbitraires, par recours pour excès de pouvoir. Il serait intéressant de mener des investigations sur le nombre des recours intentés et surtout le sens des décisions rendues.
Les députés et sénateurs du PCF votèrent contre l’adoption de cette loi. Cependant, ils voteront pitoyablement un an plus tard la loi des pouvoirs spéciaux.

Les procès verbaux de scrutins font mention des noms des députés français musulmans, tel Menouar S… d’Orléansville, qui votèrent comme J. Chevallier, R. Mayer, le sénégalais Senghor et H. Fouques-Duparc, président des maires d’Oranie. Ce dernier, ancien ministre, est l’auteur de la lettre à R. Coty réclamant les exécutions immédiates des condamnés à mort (copie, annexe 2).
Au Conseil de la République (l’actuel Sénat), on relève le nom du Docteur Abdennour T… votant comme Borgeaud, M. Viollette, M. Debré, E. Pisani.

A suivre

Sources documentaires et annexes :

* Jorf. débats : Ass. nationale, 25/30/31 mars 1955 & Conseil de la Rép. 1er avril 1955.

(Les J.o., en microfiches sont d’accès et de reproduction libre et immédiat/e au siège du Jo. et à l’Espace Documentation /Librairie Sénat).

* 1. Loi du 3 avril 1955 sur l’Etat d’urgence. Contrairement aux affirmations de quelques historiens, elle ne fut pas abrogée, mais reconduite dans les pouvoirs spéciaux. Elle n’est pas, non plus, tombée en désuétude, puisque appliquée en décembre 2005 pour réprimer la population des banlieues.
* 2. Décision interministérielle du 3 septembre 1955 organisant un protocole rapide de condamnations à mort et d’exécution des Algériens, par les TPFA.
* 3. Lettre de la Fédération des Maires de l’Oranie, en date du 31 octobre 1955, demandant au Président R. Coty, l’exécution immédiate des Algériens condamnés à mort.
* 4. Lettre remise au Président de la République, signée d’avocats des Barreaux de Constantine et de Paris, reçus en audience au Cabinet du Palais de l’Elysée, en octobre 1955.
* 5. ‘’Vœu’’ de la Direction des Affaires criminelles et des grâces du Ministère de la Justice expliquant que les inculpés sont privés de l’exercice des voies de recours afin d’accélérer la procédure.
* 6. Lettre ouverte d’avocats de la défense, publiée, relatant le déroulement du procès d’El ‘Alia tenu à Skikda le 17 février 1958.

NB. Annexes 2 à 6 recopiées d’un extrait de cote (sûrement expurgée) répertoriée à la Direction des Affaires criminelles et des grâces 1955-58, accessible par dérogation avec interdiction de reproduction des pièces.

Les noms des agents de la fonction et de l’action publique des Cabinets présidentiel, ministériel et militaire sont omis pour satisfaire à l’interdiction de les mentionner.


zahia eM-Gonon, Setif Info

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