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Les damnés de l’exil

jeudi 17 décembre 2009, , article écrit par Ammar KOROGHLI* et publié par La rédaction


st-il possible d’inventorier les cas d’injustice en Europe, de façon générale, et en France, en particulier ? Non, tout au plus pourrions-nous en tirer quelques leçons.

Dans cette perspective, il me semble que c’est le cas des étrangers qui offre le plus d’analyse à même de mesurer la justice à l’aune du droit ; ainsi, nombre de cas sont en souffrance dans les Tribunaux, parfois durant de nombreuses années (l’Administration préfectorale, par ses refus de régularisation d’étrangers ayant vocation à l’être, crée des situations assez dramatiques). Il est souhaitable que ces situations trouvent une solution pour en finir avec les injustices tant décriées et par les praticiens du droit que par nombre d’associations. En effet, les injustices ne manquent pas ; ainsi, souvent, les étrangers sont victimes de l’incurie de l’Administration relativement à leur régularisation empêchant certains d’entre eux de se rendre dans leur pays d’origine (parfois pour se rendre au chevet de leurs parents qui décèdent alors qu’ils demeurent sur le territoire français de façon irrégulière, « clandestine » pour certains.

Ils font également l’objet d’atteintes manifestes à leurs vies privées et familiales, l’administration demeurant inflexible et sourde quant à leurs arguments, les tribunaux administratifs ne prévoyant d’audience que de nombreux mois après le dépôt de leurs dossiers (parfois de nombreuses années) ; ce, en méconnaissance de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Et que dire des cas d’erreurs de droit en ce que certaines Préfectures violent des dispositions d’accords bilatéraux ou relevant du droit commun empêchant ainsi certaines personnes ayant vocation à être régularisées à demeurer dans leurs situations, suivies en cela par des décisions iniques de tribunaux souvent débordés. Il est vrai cependant que parfois la persévérance paie, soit que, par moments, l’Administration se montre bienveillante, soit que les tribunaux saisis accèdent à des demandes d’annulations de décisions préfectorales contraignant l’Administration à leur délivrer les titres de séjour tant attendus.

Il est d’autres cas où des étrangers, même en situation régulière, souffrent en d’autres matières du droit ; ainsi, la dame insulinodépendante et expulsée quand même de son minuscule logement (chambre de bonne) ; ce, contre toute attente et malgré tous les risques pour elle alors même que son dossier était appuyé par des documents probants et nonobstant sa situation de malade, en instance de divorce et en demande d’emploi étant sans qualification particulière ; ce, notamment du fait d’une jurisprudence des plus rigides à l’endroit des locataires. Il est vrai également qu’il est arrivé que, dans d’autres cas, des femmes peuvent se retrouver divorcées et sans toit avec leurs enfants avec tous le risques que cette situation comporte pour les enfants…

Et dans les cas de divorce, souvent les enfants « trinquent » ; nous sommes là en présence d’une disparité accentuée par la dissolution du lien conjugal, l’épouse ayant souvent peu de chance de retrouver un emploi compte tenu de l’âge, de l’absence de qualification professionnelle en rapport avec le marché de l’emploi, de la longue durée de vie commune qui l’ont empêché d’accéder à une quelconque qualification puisqu’elle s’est exclusivement consacrée à son foyer et dévouée à son époux et aux enfants. Parfois même, dans uns situation assez critique ; ainsi, telle dame ayant des problèmes en cardiologie, outre une surcharge pondérale, auxquels il faut ajouter un asthme chronique invalidant et des troubles cardiovasculaires avec hypertension artérielle et troubles du rythme, d’arthrose diffuse et d’un fibrome évolutif... Il est des cas où l’irresponsabilité de certains époux conduit des étrangères à des situations inextricables qui contribuent à créer un climat de tensions extrêmes générant un désespoir des deux partenaires du couple ; pourtant, un dialogue fécond entre époux pourrait épargner ces difficultés, au besoin au moyen d’une médiation familiale (le droit le permet). Ce qui éviterait également les cas de harcèlement moral et des violences conjugales.

Il existe également des cas concernant l’adoption rendue impossible par l’intransigeance de l’Administration qui décide bureaucratiquement de priver certaines personnes étrangères de leur droit naturel d’être parents. Et lorsque les tribunaux suivent ces décisions, grande est l’injustice. D’ailleurs, souvent, certaines femmes ont suivi une thérapie de plusieurs années par le recours à la fécondation in vitro. En vain. Et que dire des cas nombreux des licenciements sans motifs réels et sérieux dont certains Conseils de prud’hommes font peu de cas ; parfois, il y a manifestement un parti pris et une partialité flagrante ; situation qu’on peut retrouver également en matière d’assurances où le tribunaux suivent certaines compagnies d’assurances quant à leur refus de régler les assurés suite à un vol de véhicule par exemple…

Les exemples ne manquent hélas pas pour dénoncer ces injustices vécues au quotidien, loin des battages médiatiques, ainsi le cas de Abdelaziz...

Abdelaziz : « Clandestin » durant… vingt ans

Son cas est encore plus édifiant quant aux aberrations bureaucratiques ; en effet, celui-ci est présent depuis vingt ans sur le territoire français ! Voilà quelqu’un qui n’a pu se rendre dans son pays d’origine durant vingt ans où vivent son épouse et ses deux enfants nés au Maroc (l’un né suite à son mariage et l’autre suite à la visite de sa femme en France pour un court séjour)… Il est vrai qu’il aurait pu déposer une demande de titre de séjour dès les premiers mois d’accès de la gauche au pouvoir qui a alors procédé à une régularisation « en masse » des étrangers en situation irrégulière ; ensuite après qu’il ait atteint dix ans de présence stable en France, enfin la régularisation suivant ce qu’il a été convenu d’appeler la circulaire Chevènement de 1997. Finalement, il a introduit une demande à cet égard sur le fondement des dispositions de l’article 12 bis (3°) de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

Dans cette perspective, il a rappelé que la circulaire du 19 décembre 2002 du Ministre de l’Intérieur, de la Sécurité intérieure et des Libertés locales ayant trait aux conditions d’application de la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France confirme que : « Les étrangers mentionnés aux articles 12 bis et 12 ter peuvent bénéficier de plein droit d’une carte de séjour temporaire sans avoir à démontrer qu’ils sont entrés régulièrement en Franc… ».

En effet, une carte de séjour temporaire aurait dû lui être délivrée de plein droit dans la mesure même où sa présence ne constitue pas une menace pour l’ordre public, qu’il ne vit pas en état de polygamie et qu’il justifie résider habituellement en France depuis plus de dix ans. Dans ces conditions, il n’existait pas d’élément de nature à empêcher la régularisation de Abdelaziz au regard de ces dispositions. A cette fin, il a produit des pièces sur vingt ans pour justifier de sa résidence habituelle en France depuis plus de dix ans ; parmi ces pièces : des convocations de la Préfecture, des factures EDF-GDF et des quittances de loyer, des enveloppes de lettres reçues de son pays d’origine, des extraits de compte, des factures de divers magasins, des attestations médicales de soins établis par des médecins, une promesse d’embauche, des attestations d’assistance, des accusés de réception de la Préfecture, des cartes d’accès aux piscines, des enveloppes de lettres du tribunal administratif et même… une autorisation provisoire de séjour délivrée par la Préfecture…

Et, de surcroît, il a produit des pièces desquelles il résulte qu’il est entré dès le mois de février 1983 sur le territoire français et qu’il y a résidé de façon ininterrompue depuis cette date ; ainsi, la copie de son passeport avec mention de la date d’entrée à Orly, des quittances de loyer à son nom, des ordonnances médicales et des feuilles de maladie, des extraits de compte, des cartes d’étudiant et attestations d’inscription, des examens biologiques du sang.

Dans ces conditions, l’ensemble de ces éléments justifiait la présence stable et continue en France où il était inséré depuis de nombreuses années, conformément à la Loi comme à la jurisprudence (CE, 27 mars 2002, n° 231509), en précisant d’ailleurs que dès lors que tout intéressé doit se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, cette circonstance fait obstacle à ce qu’il puisse légalement être l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière. Or, Abdelaziz avait vocation à demander un titre de séjour notamment sur le fondement des dispositions de l’article 12 bis (3°) de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitées, eu égard à toutes ces pièces.

Inutile de dire qu’il a fallu plusieurs mois de démarches et moult déplacements tant auprès de la préfecture que dans ses dépendances, ainsi que des procédures contentieuses, pour voir enfin M. M accéder au séjour régulier et pouvoir revoir son épouse –véritable Pénélope des temps modernes- et ses deux enfants. Quelle galère que l’exil

* Avocat – auteur Algérien


Ammar KOROGHLI*

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