Accueil > Setif.info (archive 1999-2021) > Reportages > APS, Square Ben Badis, carrefour de l’information

APS, Square Ben Badis, carrefour de l’information

vendredi 19 mars 2010, écrit par A. Nedjar, Sétif Info, mis en ligne par La rédaction

Il ne s’agit pas de la très officielle APS, Agence Presse Service algérienne, l’équivalente des grandes agences mondiales que sont l’AFP, Reuters, API, Interfax etc. Ce dont il est question aujourd’hui, c’est l’autre APS, l’Agence de Presse Sétifienne. Elle a pour siège le square Ben Badis, à l’ombre des minarets de la grande mosquée adjacente. D’ailleurs on en trouve des similaires un peu partout dans toutes les villes et villages d’Algérie. 

Aujourd’hui, il fait beau. Beaucoup de vieux dont de nombreux retraités oisifs se sont donnés rendez-vous sur les lieux. Leur pool de rédaction est en effervescence mais il y a beaucoup plus ceux qui parlent que ceux qui écoutent. Le sujet des commentaires doit être passionnant pour entendre de loin ces envolés. Je me rapproche, je tends l’oreille. C’est ce vieux, enturbanné, une grosse moustache poivre lui barrant le visage, les sourcils en broussaille, massif, tel un de ces géniteurs ovins de la race des "Ouled Djellel", le regard tantôt perçant, tantôt évasif ne cesse de répéter :

 Tu as vu ça ? Répétant les gestes du goal. 

 Wallah, on dirait une « gorilla » dans sa cage (pour parler de la cage des buts). Il a fait trois arrêts magistraux de tirs aux buts ! 

 Je ne comprends pas ce Saadane qui ne l’ait pas sélectionné ? 

J’ai vite fait de comprendre qu’il s’agissait du match de l’ESS de la qualification pour les 1/4 de la finale de la coupe d’Algérie et du grand Chawchi qui avait réalisé une partie exceptionnelle de foot contre le Widad de Tlemcen. Je m’intègre dans le groupe. Je fais volontairement d’exhiber mon petit appareil numérique.

 Êtes-vous journaliste ? 

 Non, répondis-je à un autre vieux méfiant. Je suis tout comme vous. 

 Je vadrouille à travers les rues et ruelles de la ville pour observer, fixer et écrire sur la vie de tous les jours. 

Cet autre m’interpelle pour me dire pour quel organe je corresponds. C’est difficile de leur expliquer un organe électronique qui s’appelle Sétif Info. Ils sont tous en âges avancés. L’électronique, ce n’est pas leur rayon comme pour ce vieux lecteur qui feuillète un journal national et commente l’attaque de son site internet par les hackers. 

 Tu vois ! me dit-il, tu vois le résultat de votre électronique ? Moi je veux du palpable, froissant son journal entre ses deux mains.

Tout un groupe l’écoute religieusement pour commenter l’actualité. Ils parlent de tout sauf de la rubrique politique. A la question de savoir pourquoi ils n’étaient pas si intéressés par ce volet, en vieux militant de la cause nationale qu’il était surement, cet autre "chibani", de grosses lunettes en écailles lui couvrant largement ses yeux et une partie du visage me dévisagea longuement et me répondit sèchement : 

 De quelle politique veux-tu qu’on parle ? Pour moi, celle que j’ai vécu, celle que nous connaissons et à laquelle nous avons pris part s’est arrêtée un certain juillet de l’année 1962. 

Le reste n’est que chamaillerie entre personnes me fait-il remarquer. Cette sévérité de jugement et le ton avec lequel il me le débita ont failli me faire tomber à la reverse. Ses lèvres tremblaient. Il voulait certainement ajouter quelque chose de plus qu’il ne pouvait sortir tant les mots étaient coincés par une sorte de colère et de dépit qui ne disaient pas leurs noms. Son accoutrement soigné, ses gestes et ses paroles et ce regard qui se perdait au loin faisait de lui probablement un vieux militant et un vieux chef politique. Un autre vieux, l’air vicieux, gloussait presque sous sa cape, annonçait à qui voulait l’entendre que son ami attendrait peut être sa médaille pour ses faits de guerre durant les événements du 8 mai 1945.

La discussion tourna autour de la cherté de la vie, de la cigogne qui tournoyait dans le ciel. Cette année elle est revenue toute propre, signe de la sécheresse qui aurait sévie sur les lieux de son hibernation. Ils parlent de l’augmentation de l’expresso porté à 15 DA, ce qui les exclu d’en prendre souvent en groupe dans les cafés. Enfin ici, nous baignons dans une véritable agence de presse et d’informations où on donne et où on reçoit. Les plus timides se contenteront d’écouter, quand au plus braillards, ils torturerons ces informations jusqu’à les vider parfois de leurs sens ou d’en modifier leur interprétation que certains se contenterons seulement d’acquiescer par des signes de leurs têtes . 

Les beaux jours reviennent, les rameaux des arbres et des arbustes sont déjà verts. Les fleurs commencent à éclore. Les oiseaux gazouillent gaiement autour. Les vieux "chibani" comme on les surnomme ailleurs, y seront plus nombreux dans les semaines à venir pendant que d’autres manqueront certainement à l’effectif. 

Ainsi donc, le reste de leur vie durant, sera régulée par la visite des souks difficilement accessibles pour les produits onéreux pour ces petites bourses, par l’accès non encore payant de cette place pour glaner quelques informations et par les prières à la mosquée toute proche. 

Il est presque midi, le square commence à se vider. Certains traverseront juste l’immense parvis pour accéder directement dans la grande salle de prières après avoir fait leurs ablutions. Ils auront tout le loisir de méditer quelques instants et de lire quelques sourates du Saint Coran avant le Dhohr, pendant que d’autres préféreront accomplir ce rituel chez eux en passant d’abord chez le boulanger du coin. 

La place sera à nouveau livrée aux bambins du quartier qui s’adonneront à de véritables mini-parties de football d’où écloront ce fois d’autres Hadj Aissa, Djediat, Chaouchi et consort qui assumeront la relève et la continuité. 

Ainsi donc est faite la vie. Ils y a ceux qui arrivent et ceux qui partent. En attendant, l’accroissement de la population de personnes âgées est visible partout. A défaut d’installations, de lieux et d’endroits appropriés à d’autres activités, ces anciens ou personnes du troisième âge n’ont pour l’instant que « leurs mosquées pour prier », fort heureusement d’ailleurs. 

<diapo4325>


A. Nedjar, Sétif Info

Portfolio