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SETIF (12)

samedi 13 novembre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Après chaque été passé à la campagne, je m’habituais à aller à l’école dès septembre où je commençais alors à apprendre à me socialiser avec mes camarades de classe et à prendre conscience de l’importance de la chkoula, même si certains souvenirs demeurent désagréables.

Frappant. Un souvenir frappant déambule dans ma tête. Dès les premiers jours de la rentrée scolaire, un fâcheux événement me marqua. Et comment ! Alors que nous sortions dans la cour, en récréation, l’un de mes camarades de classe me poussa par jeu sans doute. Ou par empressement. Je me retrouvai la tête en premier sur le sol. Une grosse bosse sur le front. Pleurs. Récriminations à l’endroit de Rachid. C’était l’auteur de ce coup. Quelqu’un me colla une pièce de monnaie à l’endroit de la bosse pour éviter, me dit-on alors, que la bosse n’enflât démesurément. C’est ce qu’on pourrait appeler un souvenir frappant, n’est-ce-pas ? Je me rappelle même qu’il portait une veste assimilée cuir avec une petite fourrure.

Bizarrement, peu d’autres faits de l’enfance arrivent à émerger. Impossible de percer l’écorce de la mémoire sur les deux premières années de l’école primaire, si ce n’est les jeux avec la pâte à modeler et le remplacement de notre maîtresse par un instituteur fort sévère ; à l’aide de ses deux pouces, il lui arrivait de nous frictionner les cheveux au niveau des tempes jusqu’à nous faire crier de douleur. Fort heureusement, il ne nous rendait visite que par intervalles irréguliers.

Parmi mes camarades de classe d’alors, Bouzid. Il lui arrivait de se confier à moi. A propos d’un complexe qu’il aurait cultivé. Il lui semblait qu’il était un mal aimé. A cause de la couleur noirâtre de sa peau. Je le rassurais alors. Nous avions en commun la passion du dessin ; ce qui nous liait d’autant plus que nous faisions le même chemin pour rentrer chez nous, à lèdjnèn. Dès la seconde année de l’école, nous rivalisions déjà à qui mieux mieux en cette matière. C’est cette année que j’eus l’occasion de tester la lourde main de mon père sur ma joue à propos de mon classement…

Et pourtant ma mère me suppliait alors de boire mon café. Pour la énième fois. Café qu’elle réchauffait souvent. C’est que je n’avais d’yeux que pour mes devoirs et mes récitations, avant de manger et de sortir pour jouer avec les gamins de mon quartier. Ce quartier où nous échouâmes fut un épisode des plus cruels de notre existence ; il nous fit prendre davantage conscience de notre indigence. Notre vulnérabilité. Point de jouets. Et la morgue de l’un de nous qui se mêlait peu à nos jeux, se contentant de nous observer de loin. Il est vrai qu’il habitait avec ses parents l’une de ses villas classées biens vacants. Capitaine de son état, le père -ou l’oncle- était alors bien placé pour accéder à ce type de logement. Au moment où nos parents furent voués à remplir les camions qui les déversaient en ville pour manifester, scandant « Tahya Jazaïr. Yahia Ferhat Abbès. Yahia Ben Bella ». Les dures journées passées dans les stades, en état d’arrestation, n’avaient pas été comptabilisées pour faire d’eux des héros de la révolution. Ils figurent parmi les innombrables oubliés de l’Histoire. Comme ils ne pouvaient hélas se dire enfants d’un tel, martyr ou ancien moudjahid, leur progéniture hérita d’une situation similaire somme toute.

(A suivre)


Ammar Koroghli

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