SETIF.INFO

Accueil > Setif.info (1999-2021) > Culture > Exils : de Sétif à Paris

SETIF (15)

jeudi 25 novembre 2010, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


En CM2 au contraire, Monsieur Robert était d’une gentillesse inouïe. Extraordinairement posé, il était d’une simplicité à rude épreuve. D’une courtoisie exemplaire, il a été pour nous le modèle même du comportement profondément humain. N’était son exemple et celui de Madame Simone, nous aurions désespéré de ses gaouris dont nous voyions les soldats malmener nos pères et les patrons les exploiter. Gamins, nous nourrissions de nobles desseins, nous prédestinant à des métiers à même de prémunir nos parents de tous les maux qu’ils subissaient. C’est pourquoi nous avions pu considérer que Monsieur Robert était une sorte d’exception dont il fallait bénéficier à foison pour apprendre. Nous l’écoutions religieusement dans son cours jusqu’à rompre nos tympans.

Méthodiquement, et avec une précieuse méticulosité, il dissertait sur la façon de rédiger une rédaction ou de résoudre un problème de calcul. Il est vrai que nous préparions alors la sixième, examen que nous jugions redoutable car de lui dépendait notre ticket pour le lycée. Grammaire et conjugaison, concordance des temps et ponctuation ; calcul préfigurant l’algèbre et la géométrie ; récitation de poésie et dictée ponctuaient notre agenda journalier et rythmaient notre année scolaire pour nous préparer à cette épreuve tant redoutée. Il appréciait parmi nous autant ceux qui se bagarraient pour être parmi les premiers classés que ceux qui, sans être de parfaits élèves, décuplaient d’efforts pour arriver à se hisser à des moyennes honorables.
Ce fut une année si riche en enseignements divers, davantage sans doute du point de vue humain, que l’année de Monsieur G. bascula dans les oubliettes. Par pertes et profits. Surtout que, parallèlement, Si Tahar nous suivit en CM2. Sans panache, ni démesure, il se révéla peu efficace pour nous inculquer les rudiments de base de la langue arabe pourtant si subtile et si riche. Manque de méthode, empressement à nous alimenter davantage en morale qu’en savoir proche de l’esprit scientifique que la langue des aïeuls a su imprimer à diverses disciplines : mathématiques, médecine, astronomie… On lui sait gré néanmoins d’avoir découvert que nous avions une identité dont les repères méritaient d’être dessinés.

Ce fut tout de même une année intense en apprentissage ; en tous les cas, pour ceux qui se donnèrent la peine d’apprendre. Les bases linguistiques étaient posées ; il fallait les exploiter dans l’univers qui nous attendait : le lycée dont nous pensions qu’il était le lieu de toutes les chances pour hisser nos têtes hors de l’eau. En reprenant une vieille photo prise alors à l’école primaire, je revois la cour clairsemée d’arbres en face des classes du rez-de-chaussée où gisent les restes de notre mémoire de jeunes pousses. Visible également les escaliers qui menaient à notre classe, ainsi qu’au premier étage où il nous a été également donné de recevoir quelques leçons d’humilité et hélas parfois de pure cruauté comme en CM1.
Juste à côté, la cantine où nous mangions à midi. J’ai encore l’eau à la bouche de cette confiture à l’orange qu’on nous servait au dessert. Le brouhaha que nous provoquions alors ne dispensait pas de la bonne humeur dont seule l’enfance a le secret. L’esprit de fraternité et de solidarité naissait imperceptiblement entre nous. Petits compagnons d’infortune, nous tissions entre nous une camaraderie de durée éternelle pour certains. Elle se consolida davantage au lycée. La cantine servait également de salle de projection de films, surtout ceux de Charlie Chaplin et des westerns, notamment les samedis soirs, moyennant quelques centimes.

La cérémonie de remise des prix était naturellement programmée à l’approche de l’été ; avec la fin des classes, venait la récompense pour les premiers d’entre nous. Je me revois devant la glace de la grosse armoire de la chambrée que nous habitions à El Combatta en train de me préparer pour me rendre à l’école pour y recevoir mes prix, souvent des livres. Sans doute pour nous inciter à lire davantage. Surtout que nos parents, illettrés pour la plupart d’entre nous, ne pouvaient offrir pareil présent à leur progéniture. Ce fut là également l’occasion d’encouragements pour certains d’entre nous d’aller de l’avant pour faire le lycée.

(A suivre)


Ammar Koroghli

Dans la même rubrique