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SETIF (31)

mercredi 26 janvier 2011, , article écrit par Amar Koroghli et publié par La rédaction


L’un de nos copains étant parti à la plage la plus proche, Souk El Thénine, avec ses frères et amis de quartier, il nous fit signe à moi et à un autre de nos amis pour que nous puissions les y rejoindre ; il a fallu développer des trésors de diplomatie pour que ma mère acceptât. Pour deux ou trois jours seulement. Hébergé dans une tente. Et manger soit un repas froid, soit à la gamelle préparé par l’un de nos hôtes. L’ambiance du groupe aidait à faire fi de ces contingences. Inutile de dire que la plage était bondée de monde. Et chacun y allait de ses jeux, dans un charivari indescriptible souvent sans tenir compte des imprécations du voisin. Difficile dans ces conditions d’espérer se reposer du labeur d’une année. Quant à vouloir vivre quelques moments doucereux avec ses enfants pour les quelques familles présentes sur la plage, c’était rêver. Que de mégots et de boîtes de sardines et autres déchets étaient alors abandonnés à même le sable ! L’écologie n’était pas encore de mode. Ni de ce monde livré aux appétences de la consommation.
​Le crépuscule annonçait des soirées au son de musiques souvent discordantes. Parfois des orchestres de circonstances attiraient les badauds. Une derbouka et une guitare sèche faisaient l’affaire. Il suffisait alors de taper des mains pour plus d’animation. Et quelques-uns n’hésitaient pas à se lancer dans une danse au rythme de ces sons improvisés. Ce n’était pas le Pérou, mais c’était la mer à portée des yeux. Et puis, c’était l’été. Il faisait chaud. Il faisait beau. Nous étions jeunes. Que demander de plus ? Bien entendu, le mythe de la mer inaccessible était rompu. Plus tard, j’organisai mes vacances au bord de la mer de façon plus substantielle. Pour l’heure, il ne fallait pas bouder son plaisir nonobstant toutes sortes de circonstances. Dans deux ou trois jours, je pourrai dire aux autres copains restés sur la terre ferme j’étais au bord de la mer ! C’était comme rapporter un trophée. Ce fut mon butin cet été là. Ce ne fut pas la seule première expérience de la vie… 
 
​Lorsque nous étions au lycée, tout un chacun de nous était aux prises avec ses cours. Et pour un certain nombre d’entre nous avec une, misère endémique. Nos parents n’ayant hélas que peu de choses à nous offrir. Notre adolescence était livrée aux appétits de la rue, si je puis dire. Peu d’activités culturelles. Pratiquement aucune bibliothèque municipale ou autre pour nous accueillir alors que nous étions pourvus d’une soif inextinguible de lire et d’apprendre. Une fringale. Ce fut un désert. D’autres copains eurent la chance d’être mieux nantis dans tous les sens du terme. Aisés, ils purent également s’épanouir intellectuellement au sein de leurs familles qui plus est pratiquaient avec eux une tolérance alors possible. Ils pouvaient même organiser des après-midi de rencontres entre eux pour écouter de la musique et danser. Même si les autorités d’alors étaient déjà sur le qui-vive quant à l’ordre moral. Une descente policière sur dénonciation n’était jamais exclue.
​Il nous arrivait aussi de nous réfugier dans le rêve. Et d’aimer à l’utopie. Voir sa dulcinée de loin. Parfois la suivre de loin. La promiscuité du lycée Mohamed Kerouani, réservé aux garçons, avec celui de Malika Gaïd pour les filles n’arrangeait pas vraiment les choses. Chacun avait conscience qu’il ne pouvait aller aussi loin qu’il le voulait. Tout le monde se connaissait. Les nouvelles vont plus vite qu’une traînée de poudre. Si telle osait s’afficher avec l’un de nous, elle risquait gros. Jusqu’à lui interdire le lycée. Nous étions prisonniers d’un système social et pédagogique des plus archaïques. Sans doute même des plus répressifs. A telle enseigne que les cheveux longs étaient interdits. Le surveillant général se pointait à l’entrée pour veiller au grain et renvoyait systématiquement ceux parmi nous qui arborait quelques mèches rebelles.

A suivre


Amar Koroghli

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