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ALGER (23)

mercredi 20 juillet 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


Je passais alors des heures durant à contempler ma mère, à observer les multiples transformations au niveau des traits autrefois remarquablement tracés et merveilleusement sculptés en un visage resplendissant de santé. Triste destinée que de naître dans une famille pauvre, vivre misérablement toute une existence, travailler dur pour s’assurer un minimum vital et mourir en emportant dans la tombe maints projets et rêves longtemps couvés pourtant. Telle fut hélas la destinée de ma mère. Rongé par les soucis constants de mon travail et les souvenirs dont je ne parvenais pas à me dessaisir, je regardais alors ma vie avec dédain. Elle était devenue pour moi un boulet de forçat que je traînais là où j’allais.

Lorsque ma montre marquait vingt et une heures, je me rendais compte qu’il était manifestement trop tard pour me rendre au cinéma. En dépliant mon journal posé sur la table, je pouvais difficilement lire le programme affiché dans les salles de spectacles. Mes paupières, devenues lourdes, se refermaient d’elles mêmes. Je ne pouvais suivre les séquences d’un quelconque film. D‘ailleurs, quel film voir ? La plupart des titres, aliénants du reste, se révélaient par la nature des thèmes traités peu propices à l’éveil de la conscience. Bien au contraire, Tout comme bon nombre de jeunes, j’étais friand de films ayant le mérite de soulever des problèmes pertinents…

A u demeurant, je somnolais. La vie d’étudiant n’offrait guère mieux. Je ne pouvais plus formuler une idée cohérente. La raison, ma maîtresse de tous les jours, me quittait momentanément. Je voulais encore rester à contempler les autres vociférer et gesticuler, boire et mourir à petit feu. Un suicide quotidien. Mais assommé que j’étais, je ne songeais plus qu’à dormir. Je ne sentais plus mes jambes. Toute volonté disparaissait de ma personne. Je ne me commandais plus. Et pourtant… Et pourtant, il fallait partir. Je devais emprunter l’autobus devenu un véritable lieu d’affrontements entre les usagers, au moment des heures de pointe. Lorsque la porte s’ouvrait, ils s’y précipitaient en se bousculant et en se lançant force insanités… L’autobus ne démarrait qu’une fois l’espace à occuper ne pouvant plus contenir de chair humaine.

Je sortais en titubant et en fredonnant un air d’une insipidité outrancière. Ayant au fond du cœur une douleur que seule pouvait guérir la fin de la nostalgie du passé. Début d’un présent délivré de l’amertume du quotidien. Je savais ce jour si loin alors que seuls quelques jours me séparaient du prochain week-end pour revenir en ce lieu pour oublier cette morne existence. Bientôt un tonnerre allait déflorer le ciel d’Alger, en apparence serein.
Comment oublier octobre 88 et taire le « chahut » de gamins de Bab El Oued ?

(A suivre)


Ammar Koroghli

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