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PARIS (8)

lundi 15 août 2011, , article écrit par Ammar Koroghli et publié par La rédaction


En refermant « l’Aventure de Miguel Littin. Clandestin au Chili » de Gabriel Garcia Marquez, j’abhorrai davantage l’exil. Ce livre relate comment Miguel Littin, metteur en scène chilien de père palestinien, retrouve clandestinement son pays après douze années d’absence forcée. Un exil qui date d’un certain 11 septembre 1973, un autre 11 septembre qui vit le palais présidentiel de la Moneda (Monnaie) bombardé par les sbires du futur dictateur de la junte militaire, un certain général Pinochet, décédé sans avoir été jugé pour ses crimes à l’encontre de son peuple. Littin qui rappelle, par la plume de Marquez, que « le miracle militaire a rendu plus riche un très petit nombre de riches et beaucoup plus pauvres tous les autres Chiliens » du fait que le régime issu d’un coup d’Etat a importé plus de produits en cinq ans que durant les deux cents années antérieures ; au milieu de l’« exaspération sénile de la dictature », Littin fait provision d’une « moisson de nostalgies » comme pour conjurer l’exil.

L’exil. Vocable voué aux gémonies. Synonyme de souvenirs cruels et de remords. Au goût de malédiction. Honni par des générations entières d’immigrés, et pourtant expérimenté par des candidats innombrables. Jusqu’à mettre en péril leur propre vie sur de frêles embarcations, les harraga. Rejoindre l’eldorado rêvé les yeux ouverts via les images charriées par les chaînes satellitaires. Et par des revues aux photos aguichantes, souvent sous les traits de minois de filles angéliques. Egalement par des produits de consommation inaccessibles au commun des mortels.
L’exil, apanage de circonstances. Les unes autant pernicieuses que les autres. Quotidien implacable reconduit au jour le jour : chômage et misère ambiante, célibat indéfiniment et involontairement prorogé, scolarité bâclée et insuccès professionnels réitérés, mille et un métiers pour une louche de chorba, absence du droit à l’expression et hogra, délit d’opinion et frustrations en cascade, pieuses prières et saouleries occasionnelles, espoir vain et résignation à l’infini…
Voilà ce qu’est l’exil. Imperturbable destin aux contours incertains, à la froideur certaine. Soleil troqué contre de la grisaille. Commerce de sa jeunesse pour de l’espérance. Semailles inutiles de ses années d’insouciance. Indomptable désir de se surpasser, au-delà des efforts habituels. Consommation effrénée de ses énergies décuplées par l’envie de jauger ses capacités et de mesurer l’étendue de ses talents supposés ou réels. Mais aussi simple besoin de vendre sa force de travail outre-mer, le chômage endémique ayant gagné de larges pans de la société d’origine, contrainte à une paresse angoissante se muant parfois en suicide.
Egalement audace d’une jeunesse oubliée et vouée à un perpétuel sacrifice autant absurde qu’inutile, face à l’impérieux et vital souhait de se soustraire à la mort lente distillée par la morosité des campagnes jetée en pâture à l’oubli et des villes vouées à l’inculture organisée par un pouvoir central vorace qui est relayé par des potentats locaux. Leur enjeu principal et commun ? Préservation de leurs intérêts gargantuesques à travers l’accaparement de la rente provenant des hydrocarbures, la recherche du plus grand patrimoine foncier possible et les comptes et résidences en Suisse et ailleurs.
(à suivre)


Ammar Koroghli

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