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Savant et militant de la cause nationale

Cheikh Saïd Salhi (1902-1986) ou le dévouement sincère pour l’Algérie

dimanche 25 janvier 2015, par Mihoubi Rachid


A Beni Yaâla (ou Ith Yaâla, appellation locale de cette merveilleuse contrée de la wilaya de Sétif), l’un des aspects qui distingue les habitants a été leur résistance opiniâtre contre l’oppression coloniale et la politique d’assimilation entreprise par la l’administration française (comme ailleurs dans toute l’Algérie) est justement représenté par leur capacité à veiller jalousement sur la préservation de leurs us et coutumes ainsi que leur attachement indéfectible à leur patrie, l’Algérie, et à leur religion, l’Islam.

La région a constamment été un vivier de la culture combattant l’ignorance et l’analphabétisme par tous les moyens. Les mosquées des villages (certains en comptaient même deux), les zaouias comme celle des Ath Querri (perchée au sommet du djebel Sidi-Yahia), ainsi que les imams et les chouyoukhs ont joué un rôle prépondérant dans la préservation de l’âme religieuse et du savoir dans cette région berbérophone.

Emergence d’un savant dévoué

Parmi les illustres savants qui ont particulièrement marqué par leurs empreintes la région et dont l’activité s’est étendue ailleurs, en Algérie, le cheikh Saïd Salhi occupe une place à part. Ce remarquable savant naquit au village de Guenzet (actuellement chef-lieu de daïra et de commune), en 1902, au sein d’une famille de lettrés. Dès son jeune âge (comme c’est la coutume au sein de la population locale), il fréquenta l’école coranique pour apprendre le saint Coran à l’âge de onze ans. Son maître était un très proche parent, puisqu’il s’agissait de son oncle paternel, cheikh Arezki Salhi, qui lui inculqua le savoir et la connaissance en langue arabe. Plus tard, cheikh Saïd Salhi le remplaça son oncle comme enseignant coranique et de la langue arabe, à sa mort, en 1930. Il resta fidèle à la ligne tracée par son prédécesseur et maître, en continuant à enseigner dans son village et à éclairer ses semblables, tout en jouissant d’un respect immense et mérité dans la région et dans les proches localités : Lafayette (actuellement Bougâa), Beni Ouarthilène (nord de Beni Yaâla et village natal de cheikh El-Fodhil El-Ouarthilani), Zemmoura (sur l’autre versant des Bibans et qui fait face aux plaines de Bordj-Bou-Arréridj) etc.

Cheikh Saïd Salhi et l’Association des ulémas algériens

Quand fut fondée l’Association des ulémas musulmans algériens, à Alger, en 1931, il y adhéra sans réserve et fut l’un de ses animateurs les plus actifs, tout en restant discret et plein d’humilité.
Par ailleurs, sa notoriété et son dynamisme au sein de cette institution religieuse lui permirent de représenter ses collègues de l’Association lors de la réunion tenue le 21 février 1937, à Paris, à la demande du penseur arabe, l’émir Chekib Arslan, auteur notamment du fameux manifeste paru vers 1934), Limadha taakharra El-Mouslimoune oua limadha taqaddama gheïrouhoum (Pourquoi les musulmans sont arriérés et pourquoi les autres ont progressé). Cette importante rencontre dans la capitale française avait pour but de rapprocher les nationalistes algériens et de faire disparaître la discorde entre les militants du parti de l’Etoile nord-africaine et l’Association des ulémas. Parmi les personnalités présentes à cette rencontre — outre cheikh Saïd Salhi — Messali Hadj, le leader de l’ENA, et cheikh Fodhil El-Ouarthilani. Les désaccords entre les deux formations nationalistes ont vu le jour, certainement, après le Congrès musulman de 1936 qui a eu lieu au Stade municipal (actuellement stade du 20-Août 1956) d’Alger, suite à la demande du gouvernement français du Front populaire (à ne pas confondre avec le Front national ou FN du tristement célèbre Jean-Marie Le Pen) dirigé, alors, par Léon Blum aux formations nationalistes de présenter une charte commune contenant leurs propositions et suggestions communes.
Dans le cadre de la solidarité avec les Arabes de Palestine – sous occupation britannique à cette époque – qui devaient faire face aux visées expansionnistes des juifs sionistes qui menaient des offensives et des attaques terroristes contre les populations pacifiques, cheikh Saïd Salhi avait fourni d’immenses efforts pour récolter les dons et les aides pour la cause arabe des habitants palestiniens.

Une reconnaissance méritée pour un militantisme inlassable

Sous sa direction et sur ses conseils, beaucoup de talebs des Beni Yaâla furent orientés et dirigés – afin de poursuivre leurs études —vers les centres locaux du savoir mis en place par les ulémas, sur Constantine, la ville natale de cheikh Abdelhamid ibn Badis. Ce dernier, sur invitation de cheikh Saïd Salhi, rendit visite à la la région de Guenzet le 30 août 1937. Le souvenir de cette visite est resté vivace dans la mémoire de la génération de l’époque et eut comme conséquence de donner une impulsion accrue à l’élargissement de l’enseignement de la langue arabe et de l’accroissement du savoir au sein de larges franges de la population. Une école libre (ou médersa) fut fondée, en 1944, mais les autorités coloniales françaises ont vite fait de la fermer à l’issue des mémorables manifestations pacifiques du 8 mai 1945, dans l’est algérien, particulièrement à Sétif, à Kherrata, Guelma…, auxquelles la région de Beni Yaâla participé de façon notable.

Le rôle de cheikh Saïd Salhi au sein de l’émigration algérienne en France

L’Algérie a vu émigrer des centaines de milliers d’individus parmi sa jeune population (depuis le début du XXe siècle) fuyant la misère tenace et la répression féroce de l’administration coloniale. Une forte colonie d’immigrés algériens se constitua, en France, et formée d’un prolétariat serviable et corvéable à la merci des patrons d’usines, de mines et du capitalisme métropolitain. Craignant la déculturation pour leurs nombreux compatriotes vivant dans un environnement hostile, aux normes sociales, culturelles et religieuses différentes des leurs et de la patrie qu’ils avaient dû quitter, forcés et contraints par les pénibles conditions de vie imposées par l’impérialisme français, les membres de l’Association des ulémas mit en métropole des structures adéquates (une trentaine de médersas et de clubs) destinées à aider les émigrés algériens et à les encadrer. Quelques-uns de leurs dirigeants partirent en France et parmi eux, cheikh Fodhil El Ourtilani (de Beni-Ouarthilène, situé à une courte distance de Guenzet) et l’autre était cheikh Saïd Salhi.

La période de la Révolution de Novembre (1954-1962)

Après deux séjours, en France, entrecoupés de retours au pays, cheikh Saïd Salhi fut envoyé par l’Association dans l’Ouest algérien où il était chargé d’étendre l’activité des Ulémas dans la région (Sig et ses environs, puis Oran, Tlemcen) à partir de 1950 jusqu’en 1956.
Entre-temps, il avait construit une médersa comprenant cinq classes à Guenzet que fréquentaient les jeunes garçons et les filles du terroir. Mais, les autorités coloniales procédèrent à sa fermeture définitive avant de l’incendier avec toute sa riche bibliothèque qui partit en fumée et perdue à jamais.
Cheikh Saïd Salhi fut incarcéré plusieurs fois, pour son activisme politique et culturel en faveur de l’indépendance de la patrie, mais il continuait inlassablement son combat, fort de ses principes et de ses convictions profondes. Tour à tour, il connut l’emprisonnement à Lafayette (actuelle Bougaà), Djenane Bourzag, Coudiat (Constantine), El Harrach (Alger), Aïn Defla et dans plusieurs prisons dans les villes de l’ouest, jusqu’à la libération du pays, en 1962.

Après l’indépendance…

Durant la période post-indépendance, il fut chargé, notamment, de la gestion de Dar El-Hadith (Tlemcen) jusqu’à la fin de l’année 1965.
Invité par le roi Hassan II pour une série de conférences au Maroc, il y laissa une très forte impression chez ses invités et chez tous ceux qui avaient assisté à ses cours et à ses prêches dans les mosquées et les clubs littéraires du royaume chérifien.
En Algérie, il fut désigné vice-président du Haut conseil islamique, poste qu’il occupa jusqu’à sa retraite, en 1972. Quatorze ans après, il décéda à l’âge de 76 ans et fut enterré dans le cimetière de Chéraga, près d’Alger, après une vie de militant consacrée entièrement à lutter contre l’ignorance, l’analphabétisme et le colonialisme et pour servir sa religion, l’Islam, et son pays, l’Algérie.

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