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Nous étions lycéens (Partie 14)

samedi 2 novembre 2013, , article écrit par Toufik Gasmi et publié par La rédaction


Chaque matin, du lundi au vendredi, nous étions des centaines à nous diriger, quelque soit le quartier de la ville d’où nous venions, d’une allure preste mais sereine en empruntant la rue Valée. Nous faisions une halte chez notre ami Moustache le Tunisien, dans ce local étroit mais o combien convivial et familier, situé au coin de cette rue, ce local dont l’acquisition remonte à l’année 1929 , non pour nous reposer, mais pour déguster le beignet chaud du matin, car il y en avait un autre, l’après midi, celui à la forme circulaire enrobé de sucre.. Nous empruntions alors cette petite cote qui nous menait vers le lycée où une grande porte en bois noble au dessus de laquelle on pouvait lire ‘ENTREE DES ELEVES’ venait de s’ouvrir : il est 7h45, la rue et le lycée s’éveillent.

Là, se dressait chaque matin avec un sourire fraternel le regretté Douadi Sâadna dit Nevada, portant sa blouse grise, comme pour nous inviter à entrer dans le sanctuaire qu’était notre lycée.
Nous étions, quotidiennement bien avant l’heure de la rentrée, neuf mois sur douze, car nous ne pouvions laisser passer l’occasion de regarder les filles du lycée d’à coté. Les unes venant du quartier de la gare traversant la rue de Constantine, les autres du faubourg des jardins passant par Ain Fouara, d’autres encore du centre ville.

Comme à l’accoutumée , elles se retrouvaient non loin du lycée de garçons sur l’esplanade de la pharmacie Balande pour une séance de papotage puis , comme nous, elles se dirigeaient vers leur établissement en empruntant la rue perpendiculaire qui mène vers leur établissement et , comme nous, il leur arrivait de temps en temps de déguster les beignets, mais l’après midi , à la sortie ,accompagné d’un thé chaud.

Les internes agglutinés aux fenêtres donnant sur cette rue -devenue en l’espace de quelques minutes très animée-, étaient en contemplation devant ces filles, ces belles sétifiennes, toujours bien habillées, bien coiffées, le cartable en bandoulière, altières et fières d’appartenir à ce lycée ; Elles le reconnaissent aujourd’hui.
Chacun y allait de sa gesticulation et de ses onomatopées. Les filles quant à elles, majestueuses, lançaient des regards furtifs et quelques sourires en direction de ces fenêtres et chacun était convaincu que le rictus ou le geste amical lui était adressé ; il n’en fallait pas plus pour leur bonheur quotidien et… en avant les rêveries. Et comme pour mieux apprivoiser la dulcinée, souvent virtuelle, des cœurs portant certaines initiales, transpercés d’une flèche dégoulinant de quelques goutes de sang, étaient gravés sur les tables, sur les arbres et même sur le cartable : le secret est ainsi bien caché.

Le même rituel est repris l’après midi, à la sortie, à 17h, avec la même animation et cette fois c’est la douceur de la nuit qui fera son effet, avec peut être quelques rêveries.

L’avantage ou la chance qu’avaient les externes, c’est que l’approche, saine au demeurant, permettait de plus longues conversations avec les filles, une plus grande amitié s’est tissée au fil des jours. La senteur des meilleurs parfums qui se dégageaient de leur corps, faisait le reste.

Elles se dirigeaient vers leur lycée où la directrice, Mlle Idoine, une ancienne déportée du camp de concentration de Ravensbrück ; charmante , autoritaire mais éducatrice jusqu’au bout , qui savait allier la discipline et le travail bien fait ; C’était une femme grande de taille ,de forte corpulence, habillée toujours sobrement qui ne badinait pas avec la discipline,- indispensable dans un tel établissement- : les tenues excentriques, le maquillage étaient bannis et elle n’hésitait nullement à renvoyer une élève lorsque par exemple les cheveux étaient lâchés ou la blouse n’était pas portée. Elle régnait sur le lycée et toisait les filles de toute son autorité.
Les résultats scolaires étaient à la hauteur de cette discipline, admise par toutes, c’est-à-dire brillants.

Qui pourrait oublier son visage et sa silhouette ?
Durant toute la période, Mlle Idoine a marqué de son empreinte le lycée et son aura a franchi les frontières de Sétif.
Elle possédait une 2 CV comme notre Douadi Saadna, à la différence, c’est qu’elle était mieux entretenue .Nous pensions sincèrement que les surveillantes générales, les professeurs et l’ensemble de l’administration étaient à l’image de leur chef d’établissement, n’est ce pas Mmes Hedna, Mostefai ?
Charmantes filles, vous avez procuré beaucoup de joie à nombre d’entre nous, mais de la peine également pour les moins chanceux ; aucune rigueur, ni rancune n’est retenue, chacun garde au fond de lui l’image de la belle jeune fille qu’il admirait silencieusement et jalousement ; quelques nostalgiques doivent y penser aujourd’hui, non ?

A notre âge nous continuons à vous évoquer en citant vos noms, vos prénoms, quelques uns ont retenu les dates de naissance, les couleurs des yeux, la chevelure et même la démarche. C’est dire que vous nous avez conquis.
L’amnésie ne nous a pas atteints, Dieu merci !
Belles Sétifiennes, belles Bordjiennes, belles Bougiotes, belles de toutes les localités, vous resterez pour chacun de nous les … premières.
Il faut dire que le lycée de jeunes filles faisait partie de notre vie d’adolescent .Qui n’a pas, un jour, écrit un poème, une lettre à sa dulcinée, même virtuelle, en plein cours ? Mais en solitaire c’est mieux ! D’abord il y a l’inspiration et ensuite le secret est préservé.

Ces filles là sont en or et, même si elles sont casées, mariées, mères, grands-mères, elles resteront un peu nos petites fiancées. Sauront-elles se reconnaitre ?
« J’ai souvenance que, à la faveur d’une collation organisée au lycée Malika Gaid à laquelle étaient conviés les anciens et anciennes élèves, je me dirigeais vers un groupe de filles, devenues femmes maintenant : je m’adressai à elles et avec mon index, je leur désignais les bancs en pierre fixés dans la cour. Spontanément, je posais une question indiscrète, mais qu’importe, l’essentiel est dans la réponse.
« Combien de lettres ont été écrites sur ces bancs, combien de larmes ont été versées, combien de confidences ont été faites, combien de … ? »
A peine ai-fini cette question maladroite de ma part, que je voyais des larmes couler sur un visage ,puis sur deux, puis sur trois –la contagion affective a fait son chemin-, même moi je me mis à essuyer quelques larmes .N’étais je pas concerné par ces souvenirs ?

Dois je me le reprocher, je ne sais .Toujours est- il que, par magie, j’ai pu écourter le temps de plusieurs décennies et involontairement, j’ai donné quelques instants de bonheur. »
Ces mêmes instants de bonheur ont été ressentis par nombre de camarades lors de rencontres organisées par notre Association : imaginez des copains et copines de classe qui ne se sont pas vus depuis des décennies et qui se retrouvent comme par enchantement l’un(e) en face de l’autre. L’étreinte suivie de larmes trahissent cette amitié profonde qui était la leur, durant ces belles années passées aux lycées. Sans aucun doute les amourettes de jeunesse, les rendez vous manqués et certains souvenirs particuliers sont évoqués. Seul le lycée peut donner ce genre d’émotion.
Ce retour vers notre jeunesse, ces retrouvailles plus ou inattendues vont être l’occasion de faire le point sur notre existence passée, actuelle et future.
Promesse a été faite à un ainé, ancien élève, aujourd’hui septuagénaire, qui sur son lit d’hôpital, nous a remis un manuscrit ; Nous le reproduisons intégralement :

 Je me souviens des trajets en car, des lectures de bandes dessinées, des discussions avec les filles
 Je me souviens des débuts au réfectoire où le chef de table ne nous laissait pas grand’ chose
 Je me souviens des parties de foot, de la fraternité
 Je me souviens des gifles reçues
 Je me souviens d’avoir détesté les maths
 Je me souviens d’avoir quitté le lycée avec regret
 Je me souviens de ces années, parfois difficiles, parfois heureuses.

A SUIVRE


Toufik Gasmi

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