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Le 38e vendredi de la contestation populaire à Sétif : L’effet urticaire

samedi 9 novembre 2019, par Hamoud ZITOUNI


En ce vendredi 8 novembre, la pluie fine et le froid typique pénétrant des hauts plateaux n’ont pas dissuadé les Sétifiens à sortir nombreux en après midi pour contester pacifiquement le pouvoir en place et son projet d’organiser l’élection présidentielle le 12 décembre prochain mais aussi pour s’insurger contre les arrestations pour délit d’opinion dont le vieux commandant de l’ALN Bouregaa en est devenu l’une des icones.

Le point de ralliement situé entre le mall et le siège préfectoral était noir de monde dès 14h 30, après que les priants sortant des mosquées rejoignent la première foule. Comme un effet urticaire, le projet de révision de la loi relative aux hydrocarbures, puis les déclarations des hommes à la tête du pouvoir politique en particulier celle du chef de l’Etat intérimaire devant le président russe ont ravivé la méfiance et l’exaspération populaire. La publication de la liste des 4 candidats, tous d’anciens dignitaires notoires du pouvoir contesté, en a ajouté une couche d’indignité.

Même si son caractère pacifique n’est jusque-là pas pris à défaut (aucun affrontement ni même la moindre bousculade avec les forces de l’ordre ou avec les douteux groupuscules de « cachiristes », aucune casse de biens publics ou privés), le hirak lance à présent, en boucle, des slogans franchement hostiles et irrévérencieux envers les hommes forts du pouvoir. En retour, ceux-là semblent vouloir minorer et combattre le mouvement de la contestation par l’intimidation, la contrainte et la propagande désuète.

Pendant ce temps, les partis d’opposition semblent faire étrangement profil bas alors que d’autres ont carrément tourné le dos au hirak après avoir voulu monter sur la vague du 22 février. Sans doute, l’histoire ne manquera pas d’ engloutir ces derniers dans ses abysses.

Mais revenons au hirak de Sétif. Fait insolite, inattendu, presque inimaginable. Du milieu de la compacte foule bruyante de l’avenue de l’ALN, fuse l’emblème identitaire berbère, devenu tabou depuis le mois de juin passé et qui a valu à ses porteurs, l’arrestation musclée et l’emprisonnement depuis des mois. Cet emblème identitaire maghrébin qui ne se confond ni remplace la bannière tricolore nationale semble ne plus choquer personne parmi les manifestants traversés ou non par divers courants politiques contradictoires voire totalitaires. Mais curieusement, alors qu’on s’attendait à son arrachement manu militari, l’emblème « tabou » continue longtemps dans la foule jusqu’au moment ou une dame d’âge mûr aille le brandir en face du rang des policiers anti émeute protégeant l’entrée du siège de la wilaya.

D’un calme absolu, regardant droit la dame visiblement excitée, les policiers semblant imperturbables n’ont manifesté aucun mouvement de désapprobation ou d’agressivité. Un moment de vérité qui a duré près de 5 minutes avant que la dame en question se replonge dans la foule. Les propos rapportés sur Face Book attribuant des propos outrageants que cette dame aurait tenus aux policiers relèvent de l’affabulation. J’y étais tout près pour ne pouvoir les entendre malgré le chahut de la foule. Est-ce un signe de modération de décideurs ? L’emblème identitaire berbère ne devrait plus être considéré comme une atteinte à l’unité nationale mais bien internalisé dans notre mentalité sourcilleuse en patriotisme comme une simple expression de l’histoire et de la culture riche et multiple que nous partageons avec nos voisins.

Après une minute de silence à la mémoire des soldats morts récemment en service commandé dans la wilaya de Tipaza, la foule s’est mise en marche sur le large boulevard de l’ALN en direction du nord sous une pluie fine. Honneur a été fait aux femmes de conduire la marche au cri de « makanche el intikhabat maa el issabat » (pas d’élection en présence des gangs).

Le hirak de Sétif, a entrepris depuis peu, de marcher dans les quartiers les plus populeux de la ville. L’effet boule de neige a été constaté plusieurs fois. Des centaines, voire des milliers de citoyens des quartiers traversés viennent grossir la procession des marcheurs. Ce fut le cas de la marche du 1er novembre et cela se vérifie cette fois-ci encore dans les quartiers des 500 logts, d’El Ararsa et de Tandja Ouest où les marcheurs sont accueillis par les « youyou » des femmes. Des 3000 personnes estimées au démarrage de la marche sur le boulevard de l’ALN, on pouvait évaluer une heure plus tard à plus de 5000 manifestants aux abords de l’ex parc à fourrage (siège des pompiers). Comme d’habitude, les marcheurs se sont retournés vers 16 heures au point de départ. Alors qu’une grande partie des manifestants se disperse pour rentrer chez soi, seul le groupe d’irréductibles constitué surtout de jeunes gens continuera, près d’une bonne demi- heure, de lancer ses nombreux slogans hostiles au régime devant l’édifice préfectoral. La tombée de la nuit, la pluie et le froid effilochent la résistance des plus courageux. Il est de rentrer à la maison.

H.ZITOUNI

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