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Le 54e vendredi de la contestation populaire à Sétif : Comme le colibri

lundi 2 mars 2020, par Hamoud ZITOUNI


En cet après-midi du vendredi 28 février 2020, par un ciel d’un bleu imperturbable, aride de la moindre goutte de pluie bienfaitrice, le hirak a encore réuni ses troupes contestataires. Elles forment, comme de coutume et à l’endroit habituel, depuis déjà une année, leur essaim ardent et bruyant dont on peut entendre la clameur de tous les endroits de la ville de Sétif. Ils et elles sont tous et toutes là, au rendez-vous pour dire leurs mots qui frappent dur et à bout portant.

Raffinés, ironiques, lapidaires, irrévérencieux, parfois crus et même taillés à la hache, les slogans sont continuellement renouvelés et mis au « goût du jour » selon les événements propres au hirak (arrestations, intimidations, procès) ou à l’actualité nationale en particulier celle de la gouvernance. On compte à présent près d’une centaine de slogans écrits, clamés et plus souvent chantés. Portés par des milliers de voix à l’unisson, ils forment un chœur impressionnant voire émouvant. Aux abords de l’essaim humain, un senior a pris l’habitude de dresser une petite exposition dédiée au hirak. Elle est constituée avec un grand soin de coupures de presse portant sur les événements qui bouleversent le paysage politique depuis l’ « insurrection pacifique » nationale du 22 février 2019. On y retrouve aussi le catalogue des principaux slogans ayant marqué le parcours du hirak : de « yatnehaw gaa » (ils doivent tous être dégagés) à « Ghaz essakhri ehafrou fi Paris » (Gaz de schiste fore le à Paris en faisant allusion à Total).

Aujourd’hui, l’honneur est réservé aux stars du hirak toujours en prison : Fodil Boumala et Karim Tabou en instance d’être jugés. Leurs portraits sont brandis au milieu des nombreux drapeaux aux couleurs nationales. Les mystérieux et équivoques emblèmes noirs ayant fait intrusion le vendredi précédent, à Sétif et ailleurs, ont disparu. Tant mieux. Par contre, la bannière colorée amazighe a réapparu.

Plus tard, au cours de la marche, un jeune homme, probablement un nervi (baltagia), s’est infiltré dans la procession pour tenter d’arracher à la dame ce drapeau identitaire qu’elle avait l’habitude de porter en diadème aux côtés de l’emblème national. Mal lui en prend, il est prestement éjecté en dehors. Encore heureux qu’il ne prenne pas une raclée de la part des jeunes très pointilleux sur la « rojla » et la protection de la veuve et l’orphelin. La dame en question a eu droit à une mémorable frayeur qui s’est transformée plus tard en crise de larmes que ses camarades ont du mal à calmer. Les marcheurs contestataires effectueront un long parcours qui les mènera successivement sur le boulevard des entrepreneurs (Harrag Momamed Senouci) du nord de la ville puis à partir du « Titanic » (Immeuble ressemblant à un paquebot) vers la place « Essaa » (l’horloge) et le boulevard Berrarma Abdallah pour enfin retourner sur le point de départ par l’axe médian que forme l’avenue du 1er novembre. En traversant ces quartiers, la procession joyeuse du hirak se gonflera de plusieurs centaines de citoyens. Du haut des environs de Ras Idour ( « la tête qui tourne » nom drôle d’un quartier populaire) on peut estimer près de 2000 manifestants. Leur nombre s’effritera toutefois à l’appel de la prière du « assar » pour s’y réduire progressivement à près de 500 en arrivant devant le siège de la wilaya.

Le petit peuple contestataire de Sétif et de ses environs, formé de gens ordinaires, aura rempli encore fois sa fonction de maintenir la flamme et l’ardeur au changement allumée un certain 16 février 2019 à Kherrata, cette même petite ville qui a connu en mai 1945 les expéditions génocidaires de l’armada coloniale. Comme le petit colibri, le hirak accomplit sereinement et assidûment sa part, même modeste, dans la lutte pacifique pour le changement.

H.ZITOUNI

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