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Le 39e vendredi de la contestation populaire à Sétif : Les poubelles du désavoeux.

samedi 16 novembre 2019, par Hamoud ZITOUNI


Encore une fois, les irréductibles Sétifiens n’ont pas manqué au rendez vous contestataire de ce vendredi 15 novembre, le 39 ème du genre depuis ce fameux 22 février. La pluie et la grêle qui n’a pas épargné les manifestants d’Alger et d’autres villes et villages a été clémente pour les Sétifiens. Mais le froid des hauts plateaux a sévi implacablement et probablement de nombreux hirakistes n’ont pas eu le courage de sortir l’affronter.

Bruyamment réunis en leur agora habituelle, les abords du siège préfectoral, ils étaient près de 2000 manifestants à engager leur marche en empruntant cette fois-ci le boulevard axial du 1er novembre en direction de l’est. Alors que l’emblème national prend, comme toujours, toute sa place dans la procession contestataire, la bannière berbère réapparaît plus nombreuse ce vendredi. Comme pour bien marquer leur double attachement à la nation algérienne et à la culture et l’identité berbères des manifestants portent les deux drapeaux. Cela n’heurte personne et ne suscite aucune réaction hostile des forces de polices accompagnant la marche. Le drapeau palestinien est aussi à l’honneur pour signifier la solidarité des Algériens à l’égard d’un peuple martyr doublement victime de la barbarie israélienne et du silence complice de la communauté internationale. L’essentiel des slogans criés ou chantés porte, bien entendu, sur l’hostilité à l’égard de l’échéance des élections présidentielles que les manifestants considèrent pipées d’avance. Celles-ci sont perçues comme une énième mascarade organisée par un système qu’ils jugent définitivement discrédité. L’hostilité est aussi affichée à l’égard de ceux qui se prêtent activement ou passivement à cette coûteuse opération qui se chiffrera à quelques centaines de milliards. Les 5 cinq candidats retenus sont tous considérés issus des entrailles du système abhorré et leurs oripeaux, leurs discours ou même leurs promesses de circonstance fussent-ils nuancés sont loin d’être persuasifs.
En arrivant aux abords de la cité Rebbouh (Quartier de Bouaroua), un spectacle insolite s’est offert aux manifestants. Un jeune a grimpé lestement sur le haut d’un grand panneau d’affichage électoral fraîchement érigé pour y pendre 5 sacs poubelles pleins à l’honneur des candidats. Les centaines de smartphones et d’appareils photos se sont braqués sur le panneau en question pour y fixer l’image et la partager.

A quelques mètres plus loin, à proximité de la station du tramway de Bouaroua, les marcheurs ont bifurqué sur le boulevard des écoles en direction sud ouest de la ville. A ce moment, l’on s’aperçoit que la procession a grossi à vu d’œil : le nombre de marcheurs a plus que doublé pour atteindre environ les 5000. En traversant, les quartiers Beaumarchais et Lévy pour revenir au centre ville, la procession a encore capté des centaines d’autres citoyens. En arrivant devant le commissariat central, les marcheurs les plus excités se sont mis à crier des slogans bravaches et blessant à l’égard des hommes en bleu, impassibles mais l’œil vigilant. Les plus sages des marcheurs ont poussé abruptement les « provocateurs » à continuer de suite la marche. La dame du vendredi passé portant l’emblème national et le drapeau berbère s’est approchée elle aussi des policiers sans que l’on puisse distinguer la teneur de ses propos dans le chahut général. Mais, personne des policiers alignés devant l’entrée de leur siège ne bougea. Quelques mètres plus loin, devant le siège de la Cour, ce fut le tour des magistrats, absents des lieux en ce jour de repos, de recevoir en poste restante les indignations à l’égard des arrestations et jugement de jeunes manifestants sans que l’on sache si l’appareil judiciaire de la wilaya de Sétif y est concerné ou non. Mais dans les yeux du peuple lambda, surexcité par effet grégaire, il est vain de chercher et percevoir la nuance. Et juste, après, en pénétrant dans la longue trémie de Bab Biskra, c’est « l’effet tunnel » : par tranche de marcheurs, des centaines de voix crient leurs slogans hostiles au pouvoir et aux projets de celui-ci. Les murs et le plafond en béton reverbérisent et amplifient la clameur de la foule et donnent une atmosphère de transe collective impressionnante jusqu’à la stupeur et l’inquiétude. Dans cette atmosphère confinée et sombre, les manifestantes sont courtoisement évacuées par un corridor improvisé pour leur éviter les fâcheux effets de la promiscuité et de la pénombre. Encore un miracle de cette révolution du sourire et du respect.

L’anecdote des sacs poubelles se reproduira sur le boulevard Cheikh Laifa où est érigé un autre panneau d’affichage électoral.
Les marcheurs rejoindront leur lieu de ralliement par l’avenue centrale du 8 mai 1945 en portant haut leurs slogans hostiles au pouvoir en place et aux 5 candidats.
Il est déjà pas loin de 17 heures ; le crépuscule déjà annoncé et le froid coriace invitent les manifestants à se disperser. L’agora se vide rapidement. Encore un vendredi sans heurt. Les ramasseurs volontaires de déchets nettoient furtivement les lieux. Les hommes en bleus fortement présents mais discrets libèrent laborieusement le boulevard de l’ALN à la circulation automobile. Eux aussi ont certainement envie de rentrer chez eux et se reposer.

H. ZITOUNI

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