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Hanane ma nièce martyre de Gaza, à Sétif

jeudi 22 janvier 2009, , article écrit par El-Yazid Dib, Le Quotidien d’Oran et publié par La rédaction


lle n’était qu’un sourire. Elle était le sourire qui traversait imperturbablement le visage de toute la famille. Elle est morte en pleine guerre israélienne contre Gaza.

En ce moment même où ses parents, les Arabes, continuent à creuser davantage le désaccord, Hanane ne connaîtra pas le cessez-le-feu unilatéral. Ensevelie sous sa vingtaine d’années, elle est partie guerrière sans faire trop de bruit, laissant le privilège du bruit aux bombes phosphorées et aux pleurs des siens. Hanane est toute l’histoire d’une famille, d’un peuple, d’une nation.

Les Arabes ont de tout temps occupé les devants de la scène internationale. Défaites et victoires, échecs et réussites, tels des écussons de col ; ont fait dorer ou assombrir le registre de leurs hauts faits. Entre Cordoue et Poitiers les gloires s’estompent et le dur passage d’une position à une autre les terrasse entre Tsars et Yankees. Les requêtes gémissantes et les quêtes larmoyantes remplacent les conquêtes agissantes et les fêtes conquérantes. En fait, l’Arabe est un verbe qui ne se conjugue qu’au passé simple. Toujours infinitif, quelquefois impératif. Un verbe qui subit l’action. Son être semble seulement paraître. C’est une éloquence et une parole. Les événements séculaires, vécus dans le mal et la misère, n’ont pas manqué dès lors, à les rendre unitaires. Ni les Etats-Unis d’Amérique ni les républiques bolcheviques n’ont pu, malgré la différence philosophique, faire des Arabes tant des alliés éternels sûrs et malvoyants que des ennemis acharnés, opiniâtres et clairvoyants.

Les Etats-Unis, en maître absolu, observent tumultueusement le nouveau monde qui se crée. Qu’ils veulent en finalité recréer. La notion d’équilibre de force n’est plus de mise puisque de la force, il n’y a qu’une puissance, seule, exclusive et planétaire. La leur. Même l’intronisation de Obama ne sera d’aucune utilité C’est ça l’état du monde à venir.

Tout dans l’histoire récente indiquait l’avènement d’une telle prépondérance outre-atlantique. Déjà, l’écrasement de l’Allemagne nazie à la fin du second conflit mondial présageait à travers la participation active de cet allié, non des moindres sinon l’allié même, le dessinement optatif de cette idée naissante et pré-apte à diriger le monde. Par défaut immédiat à la satisfaction de ces desiderata, la conférence de Yalta partageait en deux mondes, le monde qui naissait. En fait, la guerre ne s’est néanmoins pas arrêtée. Elle ne prit qu’un autre sens sémantique, voire thermo-physique car elle devenait aiguë, glaciale et froide.

La fin du deuxième millénaire a vu, entre autres situations inédites dans le bouleversement des choses, une autre recomposition géostratégique au nom de la démocratie et des droits de l’Homme. Le monde arabe reste nonobstant les mutations inter-civilisationnelles, du moins le sent-il, étranger à la façon dont le monde moderne venait à se construire. Confiné dans ses luttes intestines de pouvoir, il s’enfonce jour après jour dans une optique maladive du vice penchant vers l’autorité sans limite de ses gouvernants. Il ne fait valoir son existence transfrontière que dans la dénonciation (tendid), l’annonce de solidarité (tadhamoun) ou la proclamation de soutien (moussanada) à une situation quelconque. L’action devient un discours et le discours, une forme diplomatique de l’expression solennelle d’une position politique.

Le temps des gloires est-il presque révolu pour ce monde qui a vu naître le monde d’aujourd’hui ? La grande œuvre de renaissance n’était-elle pas la résultante de ces préludes de reconquêtes de l’identité d’abord puis de la souveraineté et l’indépendance de l’Etat national ? Nul besoin n’est, de déserter son ancestralité ou de relâcher obséquieusement un palmarès de triomphes historiques au vu de certaines défaillances de pures conjonctures.

Les défis sont là. Innombrables, ils viennent se dresser telle une haie infranchissable, face aux différents canevas sociaux et intellectuels qu’implique la nation arabe. Le concept de ralliement et d’allégeance provoque parfois dans une adversité pseudo-fraternelle, des remous alternatifs quant aux options d’un pays par rapport à un autre.. Par enjeux de politique locale, ils effacent en les rendant ternes, les couleurs tant annoncées du mythe du panarabisme. Ainsi, à l’embouchure philosophique de l’arabité et du socialisme, considérés comme le modèle le plus adapté à l’époque, Michel Aflak gérait le « nationalitarisme arabe » et s’en départit de l’échelle idéologique pour dire que le degré de l’unité arabe doit être plus haut que le socialisme.(1). Comme le monde avance, les idées arabes en font de même, et l’on assiste à la disparition, mondialisation aidant, de tout cliché d’intériorité, d’autosatisfaction et de recroquevillement.

Les conflits internationaux ont, au lieu d’être un lien catalyseur, de la communauté d’intérêt, le plus souvent fait office de facteurs de divergence et de division d’intérêt et de frustration d’appartenance. La « tempête du désert » avait rendu désert, le sentiment national plus que ne l’était le coeur arabe. L’opération de « justice sans limites » ou après tergiversations « liberté » a semé dans ces coeurs le désarroi, l’émoi et la versatilité. Que faire ? Si pour certains pays, la problématique se pose en termes de gain économiques, la résolution logique les force donc à se déterminer dans le camp du fournisseur de l’épi, du pain et du sein. Et si pour d’autres, elle se traduit par une opportunité libératrice des maux décennaux, elle ne peut davantage que leur causer une déchirure dans la constance des positions affichées jusque-là. Jamais peut-être le monde arabe n’a été pris, par une alternative plus ardue, complexe et rugueuse, que celle que lui présentent les effets de la destruction des tours jumelles de New York. Pour ou contre, avec et contre qui ? Ses hésitations déclaratives et incertitudes positionnelles ne font en définitive, qu’accentuer le flottement d’une rive à l’autre d’un seul monde, unipolaire et non binaire. Sinon comment expliquer le fait que plusieurs sommets successifs, de Riyad, Doha, Charm el cheikh à Koweït, le positionnement est toujours le même.

La nouvelle dimension que prend le conflit Orient-Occident, outre la guerre contre Gaza, n’est pas sans conséquences intrinsèques graves, qui surviennent coïncidement avec la guerre que l’on déclare face au terrorisme international. Cette guerre formait, depuis belle lurette et le monde le savait, la toile de fond du conflit précité. La tonalité et la puissance vocale, dans ce conflit, n’avaient de bonnes baffles que le respect dû non aux fibres arabesques mais plutôt à la voix islamique qui s’en dégageait et que porte majoritairement ce dernier.

Le sentiment d’appréhension devant ce que l’on juge dangereux et aventuriste, comme déclaration ou position à l’égard des appétences américaines, que des attentes des populations arabo-musulmanes, enfante inquiétude et effroi par rapport à une morale religieuse, qui fait de l’abstention belliqueuse une obligation légale et de l’assistance aux méprisés un devoir pur, sacré et consacré. La crainte se le départage à la morale.

La surenchère l’emporte sur la mesure. D’une affaire qui pourrait, si elle était bien circonscrite et valablement définie, faire l’unanimité, on en fait une inimitié par lapsus quand il s’agit de « croisades » ou d’extrapolation lorsqu’il s’agit de « supériorité de la civilisation occidentale sur celle de l’islam » le rubicond est-il franchi ? La conscience de la nation au sens de la « Ouma » ne se sent-elle pas légitimement sujette à des tentatives d’intimidation, de transgression et de violation spirituelle ? Qu’à cela ne tienne, les Arabes, désunis par le moindre et futile accroc, le seront-ils encore par ce qui se passe dans ce monde dont la géographie et le relief risquent des désordres énormes autant que risque le climat, à la menace de l’arme biochimique, l’explosion de toutes les couches d’ozone et d’azote. Cette désunion n’affecte en rien l’existence commune et connexe d’une culture unilinguiste et uniforme, mais s’érige en prétexte de polémique à même de gêner toute vie rapprochée et harmonieuse ; ce qui représente un grand et important avantage pour les autres nations, notamment l’Amérique du Nord.

Celle-ci voyait, il y a quelques années, en « l’union des peuples arabes » le « meilleur moyen d’endiguer la vague communiste »(2) Comme la défaite de 1949, appelée par les vaincus, la « Nakba » « confirme l’effet du retard considérable des Arabes » « le manque de coordination des Etats engagés et le jeu des grandes puissances ont eu un rôle décisif »(3). Il semble maintenant que l’on assiste à l’instinct de survie que tend à protéger chaque pays arabe.

L’Égypte n’est plus celle de Nasser, mais son peuple est encore celui de Nasser. Il condamne l’inaction nationaliste et panarabe de Moubarak, lequel se réfugie à tout bout de champ dans sa quête de faire croire que son pays est toujours la locomotive du monde arabe. Même sa ligue lui est toute soumise.

Quant au président de l’Autorité palestinienne, Abbas, qui ne l’est plus d’ailleurs, il aimerait mieux s’accoquiner avec les palaces, les belles chemises et les larges cravates que de se terrer dans des tranchées ou un bureau mal éclairé et être pris en otage, comme le fut Arafat dans son temps. Boycottant le Sommet de Doha qui semble, une première, être le plus radical et direct de toutes les séances au sommet, Abbas à l’instar d’autres dirigeants arabes est aussi atteint du syndrome du koursi. Car, élections ou pas, la nouvelle administration américaine se dirige déjà vers sa réélection à la tête de la représentation de l’entité palestinienne. Quant au Hamas, élément perturbateur de régimes, il risque à peine de fortes concessions, de laisser beaucoup de plumes et avec tous les mouvements de résistance dans la région.

La guerre contre Gaza était pour Hanane, sa première guerre. Elle l’a vécue dans sa chair, sur un lit d’hôpital avant qu’une explosion télévisuelle ne lui éclate les intestins. Elle voyait l’image affolante de Gaza, dans les yeux de son père mortifié à son tour. Elle aurait suivi la longue marche qui s’était agglutinée dans le grand boulevard de Sétif lors de la Journée internationale de protestation et de solidarité pour Gaza. Là, en ce vendredi, elle rendit l’âme pour aller fière, martyre et toujours souriante rejoindre le cortège des chouhada de gaza.

« En présence du sabre du destin, aucun bouclier ne vaut rien ». Cette pompe, cet argent, cet or ne sont rien.

Nous n’avons pas à considérer le bien et le mal. Le bien c’est le bien, le reste n’est rien »(4).

(1) « Ma’âraket el maçir el wahad

(2) « édition, Beyrouth 1959 », « La pensée politique arabe contemporaine » par Anouar Abdelmalek Editions du Seuil 1970.

(3) « Les Arabes » Encyclopédie du monde actuel. Le livre de Poche 1975.

(4) Vers prononcés au XIIè siècle par un poète de Balkh dans le nord de l’Afghanistan.


El-Yazid Dib, Le Quotidien d’Oran

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