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L’agriculture périurbaine soumise à l’urbanisation ? Le cas de Sétif

samedi 8 septembre 2012, , article écrit par Mélissa Rahmouni et publié par La rédaction


La thématique du grappillage urbain au détriment des terres rurales et agricoles est rarement évoquée. Après une chute du taux d’urbanisation des années 1970 aux années 1990, la croissance urbaine a connu une très nette reprise. Cette étude sur l’agriculture périurbaine à Sétif souligne plusieurs problématiques de fond qui méritent d’être soulevées. Les zones agricoles de Sétif sont touchées depuis des années par le phénomène d’extension urbaine à ses périphéries. Cette dynamique s’opère par un gain urbain sur la terre cultivable et comporte de nombreuses contraintes sociales inhérentes au processus. Par exemple, la proximité entre la ville et les productions a notamment stimulé la vandalisation des cultures –notamment des pois chiches – qui requiert la présence prolongée des agriculteurs pour surveiller leurs parcelles et mènent souvent à l’abandon de ce type de production. D’autres difficultés telles que la circulation routière ou le piétinement sont liées à la présence humaine accrue sur ces espaces.

La pression urbaine pose également problème dans la mesure où les zones agricoles périurbaines sont considérées comme des « réserves foncières » de la politique urbaine. En d’autres termes, l’étalement de la ville ampute systématiquement, partiellement voire totalement, des exploitations agricoles. Il existe certes des procédures de ré-affection dans des fermes pilotes ou relocalisations vers d’autres parcelles en ce qui concerne les terres louées à l’Etat et des compensations financières jugées insuffisantes pour les terres privées. Mais ces mesures n’annulent pas la dynamique d’extension urbaine peu contrôlée qui contredit les efforts annoncés en faveur du secteur agraire. L’auteur de cette étude insiste sur l’existence d’un taux de régression agricole (surfaces cultivées) plus élevé que celui de l’urbanisation. L’Algérie n’est plus un grand pays agricole et peinera sérieusement à revigorer son secteur en l’absence de solutions au problème du foncier agricole et d’une maîtrise de la croissance urbaine qui s’opère au détriment des terres cultivables alentours.

Témoignage amer d’un agriculteur de Sétif

Cet agriculteur d’une quarantaine d’années – que je nomme Hassan par volonté d’anonymat – tient absolument à livrer ses inquiétudes et impressions sur le quotidien d’agriculteur sétifien « toutes ces terres que tu vois là à perte de vue ne sont pas du tout exploitées ou que très partiellement. Ici, nous avons un réel problème d’eau tant dans nos maisons puisque nous n’avons toujours pas l’eau courante (il faut se lever tôt le matin remplir des bidons d’eau pour toute la journée) que dans nos champs qu’on peine à irriguer. L’agriculture est abandonnée et délaissée par le ministère chargé de s’en occuper. C’est très difficile surtout avec cette chaleur estivale. »

Hassan vit dans un quartier populaire de Sétif avec ses quatre enfants et sa femme sans emploi ; diplômé d’agronomie il déplore que sa qualification d’ingénieur ne soit nulle part reconnue et valorisée et qu’il soit prisonnier d’une situation financière extrêmement difficile et incertaine. « Ma fille entre à l’université cette année, j’ai une famille à nourrir et malheureusement je suis complètement endetté. A cause des grandes chaleurs et de l’absence d’eau pour irriguer, ma production a été très faible. En l’absence de soutien des autorités et livré à moi-même, j’avais pourtant souscrit à une assurance pour me protéger en cas de contraintes climatiques mais contrairement à ce que l’assureur m’avait affirmé oralement, la clause ne semble pas figurer dans le contrat. Je me demande vraiment comment je vais m’en sortir. » En plein mois de Ramadan alors qu’une atmosphère de vie au ralenti planait sur la ville de Sétif, il se rendait chaque jour pour contempler avec désespoir ses terres non exploitées « qui appartiennent en réalité à l’Etat ». Regrettant d’avoir quitté son précédent emploi et de se retrouver dans une telle précarité, Hassan est déterminé vers un objectif « redresser ma situation financière, acheter un petit local pour que mon fils aîné ouvre une épicerie ou un commerce car il n’a pas d’avenir dans l’agriculture, et je dois lui assurer un avenir. »

Il insiste sur le manque de ressources en eau qui constitue un problème incontournable et bloquant toute perspective de meilleurs rendements et de développement agricole, il poursuit : « l’eau c’est la vie, sans eau on ne peut rien faire. Le problème d’irrigation est primordial et on peut par exemple diviser Sétif en deux zones : la zone nord qui a relativement assez d’eau avec des précipitations convenables et dédiée à l’élevage bovin et la culture du blé ; et la zone sud beaucoup plus pauvre en eau et où l’on trouve cultures céréalières et élevage ovin. Moi je suis dans la zone sud d’où les difficultés que je rencontre. »

Hassan tente d’exposer le dilemme face auquel les agriculteurs sétifiens se trouvent « nous avons déjà creusé jusqu’à 150m de profondeur pour les conduits d’alimentation en eau et nous avons épuisé ces nappes phréatiques. Le ministère nous interdit formellement de creuser davantage mais en parallèle il ne propose aucune solution pour développer notre système d’irrigation et permettre l’approvisionnement en eau. Les paysans ne peuvent pas vivre et cultiver sans eau, alors l’irrigation illégale se développe face à l’inaction des responsables. On développe des forages ci et là sans autorisation et de façon anarchique mais la fraude est inévitable quand les autorités sont absentes et ne répondent pas aux besoins des gens du secteur. »

Les appels de détresse des agriculteurs ont touché diverses régions au cours des dernières années tandis que les autorités ont continué de négliger la nécessité d’une réforme structurelle, entre autre autour de la question foncière, de l’irrigation mais également en termes d’efficacité, gestion, recherche et obsolescence technique/technologique. Enfin, les entreprises de transformation alimentaire locales (produits laitiers etc.) demeurent encore trop rares pour certains produits de consommation courante. Il n’est plus possible de penser l’avenir de l’Algérie et des générations futures sans s’atteler au plus tôt à une véritable révolution agraire, au développement de l’industrie agro-alimentaire locale et à la réduction de sa dépendance alimentaire qui semble être considérée, à tort, comme un sujet non prioritaire. Le développement de l’agriculture s’intègre dans un défi plus large : la diversification de l’économie et la sortie de la “mono-exportation” (hydrocarbures représentent 98% des exportations).


Mélissa Rahmouni

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